Et une preuve de plus que le moyen âge n'est pas terminé, une !

C'est l'histoire de Peter, un pasteur évangéliste, évidemment âgé de 33 ans, évidemment ancien junky, évidemment "sauvé" de la drogue par l'amour de son infirmière Béa, évidemment chrétienne fervente, qui lui a évidemment transmis sa foi en Jésus, qu'il décide évidemment de transmettre à son tour à tous ceux qui en ont "besoin".


Ce qui change, par rapport à une de ces histoires classiques de réhabilitation destinée à absoudre les "irresponsables" années 1960, c'est que Peter et Béa ont postulé pour aller évangéliser la première planète découverte par les humains; mais seul Peter a été sélectionné. Une partie du roman se déroule donc sous forme de correspondance ; informatique, cela va de soi.


Voilà pour le décor. Avec une telle idée, n'importe quel auteur de science-fiction authentique aurait fait un roman intéressant ; le prétexte était idéal pour décrire une race extra-terrestre intrigante, un environnement spécial, et découvrir en reflet des choses innovantes sur l'espèce humaine. Hélas, c'est exactement le contraire qui se passe.


Pour commencer, Peter et Béa se morfondent pendant des chapitres entiers sur des détails d'une trivialité consternante ; le monde moderne part évidemment à vau-l'eau ; les gens de la base d'exploration sont des scientifiques obtus qui n'ont pas une once de spiritualité (quant à leurs compétences, elles sont très vaguement évoquées) ; et, pire que tout, les extra-terrestres (baptisés Osaïens par une gamine de l'Oklahoma !?!), non contents d'être humanoïdes (comme c'est pratique!) et tous semblables (comme les Chinois et les Nègres, c'est ça?) ont soif de la parole de Jésus. Pourquoi ? Euh... Eh bien, ne cherchez pas, vous ne le saurez pas. En effet, Michel Faber contourne toutes les difficultés grâce à un artifice bien pratique, celui de la cause précédente. C'est-à-dire qu'à chaque fois que vous vous demandez pour quelle raison telle ou telle chose se produit, il se contente de dire que c'est à cause de ce qui s'est passé avant. Pourquoi les Osaïens croient-ils en Jésus? Parce que le pasteur précédent leur en avait parlé. Euh.. Et alors? Pourquoi y avait-il un pasteur dans une mission d'exploration scientifique? Aucune idée. La question n'est jamais posée; raison de plus pour ne pas y répondre.


On s'ennuie énormément dans ce bouquin, d'autant plus qu'il faut se fader des pages entières de sermons authentiques (oui, oui, comme à l'église ou au temple) évidemment lardés de citations bibliques, toujours les mêmes, puisque 90% des versets bibliques sont soit incompréhensibles, soit racontent des massacres vertueusement accomplis au nom du seigneur. Ajoutons à cela que le héros est le genre de type assez stupide pour sortir en pleine nuit sur une planète étrangère sans emporter de torche, et qu'il lui faut 426 pages (sur 580) avant de s'apercevoir que pour mieux comprendre les ET, il suffirait qu'il apprenne leur langage !?! Car, oui, vous l'avez déduit: l'équipe de "scientiiques" ne comptait qu'un seul linguiste, disparu (comme c'est pratique) très tôt et jamais remplacé par les mystérieux organisateurs du projet, qui ont préféré envoyer.. un pasteur. Si tout cela ne vous paraît pas très cohérent, c'est que vous êtes lucide. Ne cherchez pas non plus à savoir pourquoi les ET demandent des médicaments en échange de la nourriture qu'ils sont seuls à pouvoir cultiver et qu'ils donnent aux humains, ni pourquoi aucun médecin ne supervise la distribution desdits médicaments, ni pourquoi la nourriture ET ne cause pas d'effet secondaire aux humains. Vous êtes trop curieux, et la curiosité est vilain défaut.


Ajoutons encore que le xéno-langage "inventé" par Faber se réduit à une courte série de signes (au demeurant très jolis, puisqu'ils évoquent un croisement entre le klingon et la langue des Grands Anciens de HPL) dont la prononciation n'est expliquée que pour deux d'entre eux, les autres étant laissés à l'imagination du lecteur. Le problème, c'est qu'un signe que l'on ne peut pas lire n'a guère de chance d'être mémorisé, à moins que vous n'ayez une mémoire visuelle parfaite, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Mais surtout, aucun vocabulaire n'est expliqué, ce qui rend les pages 572 et 573 (le discours d'adieu du héros à ses ouailles) totalement illisible, et donc reste lettre morte.


Le dernier mot du roman est bien sûr "amen" qui vient conclure un chapelet larmoyant de "pardonner" (un mot que les ET ne connaissaient pas; oh, les pauvres!) après quoi le héros (en bon Anglo-Saxon bien éduqué) rentre "à la maison", c'est-à-dire sur Terre, tandis que le sort de tous ceux qui restent ne l'intéresse plus (je veux dire par là, qu'aucune des questions laissées en suspens par l'auteur n'est résolue). De là à conclure (craindre ?) qu'une suite soit en préparation, il n'y a qu'un pas, que Neil Armstrong aurait rechigné à franchir.


Enfin, certaines réflexions d'ordre moralisateur m'ont fait tiquer. Au détour d'un paragraphe, on apprend en effet que "les foetus méritent de vivre, en toutes circonstances", que certaines personnes nées en Amérique centrale ont un "faciès simiesque", que le port du "voile rend plus féminin", et autres opinions dignes du XIXe siècle profond.


Je vais lire un autre Michel Faber pour contraster mon verdict sur ce monsieur, mais j'ai bien peur qu'il ne fasse partie de cette cohorte de mieux-pensants très à la mode depuis une quinzaine d'années, les Houellebecq-Werber-Martel qui pillent sans vergogne le fonds littéraire de la science-fiction des années 1930 à 1970. Si vous êtes fan d'Ursula Le Guin, de Robert Silverberg, de Frederick Pohl ou de Jack Vance (il y a plus d'étrangeté dans une seule phrase de Vance que dans toutes les descriptions de Faber), épargnez-vous la lecture de ce pensum incohérent digne d'un inquisiteur du XVe siècle, et qui ravale la philosophie humaine au rang qu'elle avait péniblement atteint avant Nietszche, voire Platon.


PS: eh bien voilà, j'ai essayé de lire un autre Faber, The Fahrenheit Twins, en l'occurrence, qui est un recueil de nouvelles. Le verdict est simple: je n'ai jamais vu un tel amas de bonnes idées gâchées, inexploitées, au mieux vaguement effleurées puis abandonnées.
Sérieusement, ce type a un problème. Mais comment lui faire comprendre qu'il ferait mieux de se contenter de donner des idées? Ou les vendre, à la rigueur ; mais certainement pas de les écrire lui-même.

alfredboudry
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le 12 avr. 2015

Critique lue 287 fois

Alfred Boudry

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