Cet ouvrage de science-fiction nous envoie dans un Londres imaginaire, dans un futur indéterminé. Dans ce futur, tout a été fait pour éviter aux gens la moindre contrariété, le moindre désagrément, afin que s’instaure une paix sociale durable. « Communauté, Identité, Stabilité » est le nouveau crédo. Qu’il s’agisse du contrôle de la natalité, via une prédestination génétique et le clonage, qui rend l’individu totalement secondaire par rapport à la communauté, au conditionnement dès le plus jeune âge, en passant par l’usage de drogues et la liberté sexuelle, tout est fait pour que rien n’ébranle la société. Comme l’explique l’un des Administrateur, nouveau dirigeant du monde :
Le monde est stable, à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu'ils veulent, et ils ne veulent jamais ce qu'ils ne peuvent obtenir. Ils sont à l'aise ; ils sont en sécurité ; ils ne sont jamais malades ; ils n'ont pas peur de la mort ; ils sont dans une sereine ignorance de la passion et de la vieillesse ; ils ne sont encombrés de nuls pères ni mères; ils n'ont pas d'épouses, pas d'enfants, pas d'amants, au sujet desquels ils pourraient éprouver des émotions violentes ; ils sont conditionnés de telle sorte que, pratiquement, ils ne peuvent s'empêcher de se conduire comme ils le doivent.
Plus de Dieu, non plus, puisque celui-ci est crainte et espérances, deux choses qui n’existent plus dorénavant. Il a été remplacé pour Ford, dont les lignes de montage sont cruellement similaires aux centres d’incubation et de conditionnement desquelles sortent les individus. Conditionnés à coups de matraques de propagande dans leur sommeil dès leur plus jeune âge, nul n’aspire à autre chose qu’à ce qu’il est, et le bonheur est réel pour la population. Pas de question dérangeante, pas d’envie de quitter la caste dont on est issu, pas de sentiments violents (ceux-ci ont été remplacés par une pilule qui stimule physiologiquement le corps afin que celui-ci reste en bon état de fonctionnement), la peur de la mort et la vieillesse sont des choses totalement inconnues. Seulement, dans ce meilleur des mondes, quelques erreurs arrivent, quelques pièces « défectueuses » subsistent, qu’il s’agisse de Bernard, un Alpha (être supérieur dans cette société) dont la morphologie et les réflexions peu orthodoxes quant à la société laissent supposer que quelque chose d’anormal s’est passé lors de sa création, Helmholtz, un Alpha bien trop compétent et intelligent qui ne rêve que de poésie dans une société aseptisée, ou bien John, un Sauvage. Lors d’un voyage d’agrément, Bernard ramène avec lui un Sauvage, enfant d’un couple « civilisé » ayant grandi dans une Réserve, ces zones du monde où la civilisation n’a pas dénié se poser. Méprisé par son peuple d’adoption, bête de foire à Londres, il n’arrive à trouver sa place nulle part, et seul la lecture d’une anthologie de Shakespeare, œuvre jugée hérétique car « trop vieille », lui donne un peu de compagnie, et agrémente très régulièrement ses phrases. C’est le contraste de ce petit groupe atypique d’avec la société qui donne tout son sel au récit, par ailleurs glaçant sur certains points. Car on ne peut s’empêcher de penser qu’une telle société pourrait exister et pire, serait peut-être viable. L’anthologie de l’iceberg me semble hélas tout à fait juste : « huit neuvième sous la ligne de flottaison, et un neuvième au-dessus ». On ne peut, en outre, complètement accuser les dirigeants de cette société : ainsi, Bernard et Helmholtz, coupables d’hérésie, sont simplement envoyés sur une île avec d’autres personnes ne respectant pas l’orthodoxie pour éviter la contagion de leur hérésie. Pas de torture mentale comme dans 1984, auquel on pense forcément dans ce roman, au vu de certaine similarité d’idées.
Un roman qui fait réfléchir, en somme, sur la société, son évolution. Le trait est ici grossit à la loupe de la science-fiction, mais jusqu’à quel point, et jusqu’à quand ?