J’ai suivi Michaël Farris Smith sur base de la confiance gagnée par cet auteur lors de ma lecture de « Nulle part sur la terre ». J’ai retrouvé cette écriture simple qui rend le livre très accessible. Les phrases sont en générales courtes et d’une structure grammaticale de base. Lorsqu’elles s’allongent, c’est au prix d’une utilisation, parfois répétée, de la conjonction de coordination ‘et’…Curieusement, cette technique m’avait heurtée lors de la découverte de « Nulle part sur terre». Ce choix de l’auteur me paraît cette fois plus acceptable. Je m’habitue ? Ou je réalise que cette manière d’écrire permet de faire coller le phrasé lu aux personnages rudes, entiers, peu instruits, qualificatifs qui ne sont pas synonymes de brutes, grossiers ou simplets. Loin de là.
Les personnages de Michaël Farris Smith sont des êtres oubliés du fin fond de l’Amérique, des hommes et des femmes aux caractères entiers, aux vies complexes, aux passés troubles, aux présents nébuleux, aux futurs précaires. Et tous, ils avancent sur leurs chemins au milieu de nulle part avec des repères internes cachés, des mobiles étonnants, dramatiques, parfois davantage malveillants que bienveillants, semble-t-il. Pourtant, l’auteur ne les juge jamais. Il nous donne d’en prendre connaissance… conscience, peut-être.
En lisant les pérégrinations de ces paumés de l’existence, de ces combattants à la recherche d’un à-venir meilleur, j’ai plus d’une fois pensé à l’ambiance de Bagdad café, film datant déjà mais dont la musique envoûtante m’est restée dans l’oreille. En plus sordide ici, plus en survie, les héros de Michaël Farris Smith font aussi preuve de résilience et, même hors-la-loi, ils tâchent de vivre selon des codes d’honneur qui en valent bien d’autres que nous voyons se développer dans notre société de nantis. Volonté de terminer ce qui est entamé, de garder ou retrouver une fidélité pour ceux qui, un jour, ont tendu une main, dit une parole, offert un silence compréhensif. Même perdu, écrasé, apparemment battu, garder sa dignité et se relever, tomber encore peut-être, mais vouloir encore se relever, vivre debout !
L’histoire, le cadre, les déchéances mises en exergues font de ce pays des oubliés un roman dur, triste, violent. L’auteur ne fait pas (trop) de concessions à des entourloupes permettant de finir par l’affirmation ‘Et ils vécurent heureux… » Il y a des artifices d’auteur permettant au scénario de tenir sa courbe, atteindre son paroxysme et redescendre vers une fin ouverte, bien sûr. Tout doit tenir en 250 pages. Mais, le lecteur se rend vite compte que ce n’est pas tant l’histoire, la romance de ce road movie qui compte. Bien plus intéressant est la piqûre de rappel nous invitant à ne pas oublier qu’au pays de l’oncle Trump, il n’y a pas que des buildings en or et des coffres remplis de richesses, d’aisance et de certitudes à tweeter. M.F. Smith se fait le chantre des exclus, des sans voix, des oubliés d’une Amérique de plus en plus violente et méprisable. En assurant la traduction et la publication en français, les éditions Sonatine nous invite à réaliser que la misère de ceux-là est malheureusement transposable et déjà, pour large partie, transférée dans notre vieille Europe.
Un roman qui invite donc à réfléchir sans trop vite juger. Une réussite !


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le 24 août 2019

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