Encore une fois rien qu’une puisque je peux, je vais faire mes petits gestes d’optimisme naïf, puisque je suis ému. Encore une fois. Comme je veux témoigner de son absence, de tout ce qui me fait être présent dans ses mots à elle, Kiki Dimoula, je sais : je creuse des voies déjà creusées. Je sais, et j’essaie de dépatouiller mes pattes de mouches, pour rien que dire. Pour m’adresser. A mon tour alors, je m’adresse. Peut-être il ne faut pas faire bien grand-chose, peut-être, rien qu’écrire : sourire comme ça m’est permis à ces toutes choses vaines, seules en ce monde à vivre éternellement.


En lisant Le Peu du Monde / Je te salue Jamais, comme une évidence j’ai été chamboulé, renversé, avec moi dialoguait l’absence et le vide de Kiki Dimoula, et comme une évidence j’ai voulu tendre un bras, agiter l’air, passer à mon tour des paroles en l’air, avec ce que je peux d’Océan de douceur, ma chance du Vivre, plutôt du Vivre bien, et ma chance de vouloir en faire quelque chose. Il faut tonner : ses paroles elle, Dimoula, réveillèrent, réveillent des braises enfouies, en moi, me font raffermir ma vie comme une bénédiction, en moi, ce que j’espère et aime partager. Peut-être ça sera mon pas grand-chose à essayer pour elle, pour ici-là.


Quelques mois encore, quelques mois.
Sans le savoir je l’avais lue, Kiki, sans le savoir, par une amie, puis je lirai encore des miettes d’autres textes, avant tout récemment la tombée de la nuit. Kiki Dimoula, déjà femme âgée, disparaissait en février. Je lisais un texte partagé pour l’hommage, et dès lors je savais qu’il fallait absolument que je me noie de sa poésie, je savais, faite de Non, je n’ai pas de chagrin ou de La nuit tombe à l’heure juste.


Alors j’ai pu, la lisant, répondre à cette envie : je crois que j’avais encore envie d’une voix qui parle pour moi, qui parle parfois d’amour parfois de solitude, qui passe mais reste passée. Dimoula comme réponse, avec ses dialogues d’absences, de vide, sa conscience forte de la mort : Les nuits désormais, textes à poursuivre incessamment et la peur et la mort, l’impossibilité du rêve ou du miracle ; il faut lire la très belle préface de Nikos Dimou qui évoque si bien tout ça, quand moi moi je bredouille en bonds entre l’œuvre et le rapport que j’en ai, que peut-être je n’ai pas grand-chose de plus à en dire.


Mais voilà donc, ses tensions et ses douleurs, comme une tendre me l’a dit, si c’est douloureux c’est bien que c’est vivant. Et ces surgissements, l’interpellation de ces vers pour moi ne m’effondrent pas, mais m’illuminent, m’interpellent, sont inespérés : le superflu des existences y est un socle, une base pour permettre aux choses leur place dans l’étonnement, aux saisons aux mois à l’Amour ; pour autant n’engage pas à se laisser piéger par les nuits, à encore regarder les crépuscules lointains tant que peux se faire.


Des choses comme :
Nous ne soulèverons ensemble
ni un mort
ni une fleur
qui tombe.

(dans Le Peu du Monde)


Ou le magnifique J’ai accepté de ne pas savoir :
Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Sans pêché :
avec ma soif.
Vers l’énigme de la mort
je m’en vais bravement.


Et parsèment et parsèment tant de lignes qui suffisent à rendre un poème immense, oh je voudrai tout écrire, savoir viser droit, et chanter les lignes ! Mais je réessaie un peu moins d’orgueil, et laisserai tout de même aux autres la richesse de la découverte. Juste alors une dernière citation pour l’instant, juste :
Allez, je te pardonne, instant que je fus. (Casse-noix ou Maturité)


De Kiki Dimoula et de ses mots, j’aime encore un peu insister sur ce qu’elle fait de la mémoire des existences. Rappeler ce que j’adore, cette façon ou d’en trop faire, poil-à-gratter, bigarrée et multipliant les saveurs, les goûts, j’imagine des palettes exubérantes comme des dessins de Brecht Evens, ou bien alors (car Kiki danse sur deux pieds) retomber aussitôt sur les textes plus serrés serrés, sans plus bien de couleurs, plus effacés alors : poésie du nœud.


Surtout, quand elle évoque les objets, les photographies, la force qu’elle a, qu’elle a ! Le papier-verre des clichés sont autant d’élégies, leur sujet est prophétisé et promis à l’avenir qu’il aura eu, on fait acte de prescience postérieure en réobservant l’âge figé des photographies :
Dans Photo 1948,
Je tiens une fleur, je crois.
Bizarre.
On dirait qu’un jour dans ma vie
Un jardin est passé.


Qui devient un :
On dirait qu’un jour dans ma vie
La vie est passée.


Et pour les objets, Dimoula trouve opulence à feuilleter les bottins, annuaires, dictionnaires redessinant les quartiers, disséminant autant d’existences inconnues dont on éprouve notre superflu à travers le leur, sans n’en tirer que du sourire. Puis, Kiki retrouve aussi de vieilles cartes postales, ou revient sur la lampe de bureau, les lampadaires, bref donne droit à la parole.


Voilà, en faisant parler tout et tout, en ouvrant le dialogue, j’aime me dire que Kiki a laissé des mots juste pour moi dans son livre, des mots dont je suis le seul à avoir la clef, la mienne, je prends La Pierre Périphrase :
Il y a tant de mots qui rêvent
d’une vie brève, sans lien, avec ta voix.


Non, non, tout ce que je dis, tout ce que j’écris, tout ça c’est bien faux, peut-être. Peut-être que tout bonnement ce que je devrai dire c’est qu’avec ces poèmes, Kiki ne parle pas pour moi, non, mais me permet de parler avec elle, ou à travers elle : elle dépoussière encore des pensées sans paroles, trop muettes, et les délivre.


Aussi je passerai des mots en douce, toujours les mêmes espoirs d’amuser, de donner à écrire, à sourire, briller peut-être, comme je suis gosse loin d’être humble, oh seulement lisez-donc, lisez Kiki qui avec bien plus de silence m’aura remué et remué !


Plus que ça : les derniers mots de Nikos Dimou pour conclure ce dialogue tacite :



Oui, Dimoula est parvenue à cela aussi : que les mots passent en silence. Qu’ils tombent dans un désert. Seul Beckett a su charger la parole d’un tel silence.


Rainure
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste 2020, des cailloux dans les poches, des pages plein les mains

Créée

le 26 mai 2020

Critique lue 205 fois

9 j'aime

1 commentaire

Rainure

Écrit par

Critique lue 205 fois

9
1

D'autres avis sur Le Peu du monde

Du même critique

Dolziger Str. 2
Rainure
8

Des Abusés.

Al, Merlin et Jaco grillent une cigarette dans la salle de répétition. Al, le micro dans la main, souffle des paroles et leurs contresens, ne cherche pas la précision, bégaierai presque. Jaco, sa...

le 13 nov. 2015

17 j'aime

2

Ütopiya?
Rainure
8

L'invitation au voyage

A pas étouffés Du Post Rock alambiqué et élégant. Si le propos peut effrayer, l’album ne peut que charmer. Après leur magnifique premier effort éponyme en 2013, les parisiens de Oiseaux-Tempête nous...

le 30 juil. 2015

16 j'aime

3

Bonne nuit Punpun
Rainure
9

Critique de Bonne nuit Punpun par Rainure

J'ai voulu rendre hommage au livre. Je voulais pas en faire trop, j'avais pensé à un poème, j'écris des poèmes médiocres parfois, quoi de plus normal pour un type un tant soit peu rêveur ? Mais je me...

le 28 mai 2016

12 j'aime

1