On peut incroyablement voyager même en étant coincé sur un minuscule bout de territoire. C'est sans doute la leçon, bizarrement d'actualité, que l'on peut tirer de ce livre atypique.


Paolo Rumiz est l'un des grands écrivains voyageurs contemporains. Journaliste italien, il a d'abord parcouru l'Europe en long et en large, couvrant notamment les conflits en Europe centrale dans les années 80 et 90, mais aussi l'attaque de l'Afghanistan par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.
Au service du journal La Reppublica, il a aussi suivi les traces d'Hannibal (L'Ombre d'Hannibal, Folio 2013), ou celles de Garibaldi (non traduit). Marché sur la légendaire Via Appia (Appia, Arthaud 2019), navigué au fil de l'eau d'un des fleuves les plus célèbres d'Italie (Pô, le roman d'un fleuve, Hoëbeke 2014) ou chevauché les Alpes et les Apennins à la recherche de territoires oubliés et pourtant toujours vivants (La Légende des montagnes qui naviguent, Arthaud 2017).


Il faut croire que, parfois, les grands voyageurs ont la tentation irrépressible de s'immobiliser. Sylvain Tesson l'a expérimenté Dans les forêts de Sibérie. Paolo Rumiz, lui, a choisi une destination beaucoup plus confinée, assez fantasmatique, et totalement liée à l'idée de voyage : un phare.


En s'installant durant trois semaines dans ce monument maritime perdu en plein cœur de la Méditerranée, avec pour seuls compagnons les deux gardiens qui y vivent encore, Rumiz recherche tout sauf l'enfermement.
Le récit qu'il élabore est une véritable ouverture, à lui-même bien sûr, mais aussi à l'environnement (il n'oublie pas les dangers que la surexploitation humaine fait courir à la mer), aux infinies variations du vent qu'il traque et fait chanter avec l'inspiration d'un poète, aux oiseaux comme aux rares animaux peuplant la poussière de terre qu'il arpente avec passion, et une acuité multipliée.


On pourrait craindre de s'ennuyer à la lecture d'une relation aussi statique. C'est bien sûr tout le contraire. Contraint par les limites de l'espace, le voyage devient total, il s'incarne en chaque bout de roche, chaque sifflement du vent, chaque instant partagé ou solitaire.



"On m'a dit : " Tu vas t'ennuyer." Et voilà que je me retrouve sans un
seul moment de calme. J'avais peur de ne pas savoir quoi écrire, et à
présent je découvre que je n'ai pas assez de cahiers."



C'est l'écriture de Paolo Rumiz, bien sûr, qui fait la différence. Sa langue est superbe, acharnée à saisir chaque pulsation du vivant ou se laissant dériver au fil de songes, pensées, révélations et autres références d'un homme en quête de sagesse.
Elle fait de ce voyage immobile une épopée fantastique, qui projette notre imaginaire vers tous les horizons possibles.

ElliottSyndrome
9
Écrit par

Créée

le 21 mars 2020

Critique lue 48 fois

2 j'aime

2 commentaires

ElliottSyndrome

Écrit par

Critique lue 48 fois

2
2

D'autres avis sur Le Phare, voyage immobile

Le Phare, voyage immobile
Jude
6

Le phare à on

Paolo Rumiz a passé environ un mois sur ce phare au milieu de la Méditerranée, sans jamais nous dire où celui-ci se situe. Il participe à la vie du phare, auprès des gardiens qui y sont encore en...

Par

le 1 nov. 2021

1 j'aime

Le Phare, voyage immobile
Charybde2
7

Critique de Le Phare, voyage immobile par Charybde2

Entre sentinelle et carrefour, un phare méditerranéen comme emblème intime d’une géopolitique évolutive et d’une humanité qui se cherche mal. Sur le blog Charybde 27 :

le 4 août 2021

Du même critique

Un jour ce sera vide
ElliottSyndrome
6

Du trop-plein pour conjurer le vide

Pour développer ce genre d'histoire, il y a plusieurs moyens. Soit on raconte ses propres souvenirs d'enfance et, à moins d'avoir vécu quelque chose d'absolument exceptionnel qui justifie un...

le 24 août 2020

15 j'aime

3

Le Passager
ElliottSyndrome
6

Au bord de la route

(Critique provisoire, en attente de plus de temps pour faire mieux)J'ai été si déconcerté par ce roman que j'ai oublié dans un premier temps de l'ajouter à ma liste de lectures de l'année, presque...

le 16 mars 2023

10 j'aime

5