Respectivement spécialiste d’éthique environnementale et professeure émérite à l’Université Paris-1-Panthéon-Sorbonne, Raphaël et Catherine Larrère publient aux éditions Premier Parallèle un essai portant sur les limites de la collapsologie.


Considérer l’effondrement de notre société comme inéluctable, n’est-ce pas renoncer à des actions capables d’en prévenir ou tempérer les catastrophes ? Cette question sous-tend de bout en bout Le Pire n’est pas certain. Aux yeux de Raphaël et Catherine Larrère, des collapsologues tels que Pablo Servigne, Yves Cochet ou Gauthier Chapelle prophétisent une fin du monde sur laquelle l’homme n’aurait aucune prise. Une sorte de défaitisme qui, s’il s’appuie sur des données concrètes, a partie liée avec l’abandon de toute action, politique ou non, tant globale que locale, permettant d’infléchir la trajectoire actuelle de ce qu’on a qualifié d’Anthropocène. C’est ici qu’intervient une première distinction : d’autres penseurs comme Jean-Pierre Dupuy ont théorisé le catastrophisme de manière à accentuer la croyance en son avènement et ce, afin qu’une prise de conscience permette d’amender les comportements humains. Pour les uns, l’effondrement n’est donc qu’une question de temps ; pour les autres, cela demeure une projection qui, bien que possible, a avant tout pour but d’agir comme un repoussoir sur les hommes.


Si « le pire n’est pas certain », ce n’est pas en raison d’un quelconque solutionnisme technologique. Les voitures électriques, les éoliennes ou les panneaux solaires nécessitent en effet des matières premières – dont les terres rares – qui vont en s’amenuisant et occasionnent elles-mêmes de la pollution. Les auteurs rappellent, à bon escient, les réflexions de Nicholas Georgescu-Roegen : la question n’est pas tant de savoir si les progrès techniques permettront un jour de résoudre les problèmes écologiques (ou, plus généralement, « collapsologiques »), mais plutôt d’étudier la disponibilité et l’accessibilité des ressources indispensables à leur concrétisation. Et c’est précisément ici que le bât blesse : extraire des produits de base exigera à l’avenir de plus en plus d’énergie et des efforts de plus en plus considérables. Raphaël et Catherine Larrère suggèrent plutôt de politiser l’écologie, de s’inspirer des démonstrations de résilience passées et de s’appuyer sur les expériences locales d’agroécologie ou de préservation des écosystèmes. Si des catastrophes se produiront indubitablement, la catastrophe (au singulier) n’est pas certaine et peut faire l’objet de politiques préventives, à toutes échelles.


Ce petit essai invite à la réflexion, présente plusieurs penseurs importants (dont Hans Jonas ou André Gorz) et s’épanche tant sur l’Anthropocène que sur l’histoire de la prise de conscience écologique. Le premier aurait pu s’appeler « Capitalocène » tant les sociétés développées et thermo-industrielles ont présidé à son avènement. Car si l’homme a agi sur son environnement, il ne l’a pas fait dans les mêmes proportions selon qu’il soit un Occidental urbanisé ou un Africain rural. La seconde passe par les rapports Meadows ou Brundtland, la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la Conférence de Rio ou encore le GIEC. D’étape en étape, le monde a été alerté sur les défis écologiques et l’impact de l’activité humaine sur le climat. Ce sont ces penseurs, ces mises en garde politiques et scientifiques et des données récoltées de manière de plus en plus précise et méthodique qui servent aujourd’hui d’assise à la collapsologie. Ce que dénoncent Raphaël et Catherine Larrère n’est pas la mesure ou la verbalisation des dégradations environnementales en cours, mais plutôt le fatalisme résigné qui tend à les accompagner. « Des actions existent, depuis longtemps et dans toutes les régions du monde. En face des chiffres globaux qui ne mesurent que l’écart croissant entre ce qu’il faudrait faire et ce qui se fait, il existe d’autres études, plus qualitatives, qui montrent des situations restaurées ou améliorées. »

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le 2 sept. 2020

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