Un livre brut de décoffrage


Voici un livre court et facile à lire. Une sorte de manifeste ou de pamphlet pour un changement de cap civilisationnel (comme il en existe beaucoup).


Le constat de départ est simple (il est partagé par une partie croissante de la population) : nous détruisons la planète et nous commençons à sentir le retour de bâton, qui va nous faire de plus en plus mal. Catastrophes naturelles, canicules insupportables, disparition de la faune et de la flore, migrations climatiques, guerres, virus, océans de plastiques.
On pourrait ajouter infertilité grandissante, baisse des qualités nutritives de l’alimentation, diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers. L’avenir est sombre. Il faut agir.


Le livre avance plusieurs pistes pour nous donner des idées d’action.


C’est un livre sincère, écrit de bonne foi, dans lequel l’auteur ne cesse de nous répéter que ses propositions (et sa contribution dans son ensemble) à la question « écologique » pourront paraître naïves et sans grande pertinence, mais qu’il faut arrêter de tergiverser ou de couper les cheveux en quatre. On n’a plus le temps pour chipoter. C’est trop tard.


Alors, est-ce que le coup de bélier donné par Aurélien Barrau, chercheur en astrophysique, est concluant ? Hé bien oui. En tout cas sur un point. L’auteur a un bon sens de l’auto-critique : ce livre est naïf et sans grande pertinence.


Essayons de voir pourquoi. Étudions la question pas à pas et rigolons un peu, pour une fois.


La transition écologique


Aurélien Barrau utilise plusieurs fois cette expression à la mode qui veut dire, grosso modo, « on change rien, mais on va régler le problème en investissant dans l’électrique et l’hydrogène (ou n’importe quoi qui ait l’air différent du pétrole et du charbon) ». C’est une formule héritée d’oxymores comme « développement durable », « croissance verte » ou je ne sais quelle autre création poétique (« le monde d’après ») qui ne veut rien dire sinon « vous inquiétez pas, tout va bien, on gère, rien ne va changer, on va juste faire comme si ».


On continue de tout saturer, mais on met de l’urine de mouton dans les réservoirs de voitures. On produit à tout-va, mais on fait des écrans d’ordinateurs en écorce et des claviers en poils de chiens (uniquement collectés après leur chute, pour ne pas exploiter les bêtes). On continue à se prendre en photo devant la Tour de Pise, dans des postures innovantes et philosophiques, mais on le fait avec une chambre noire fabriquée avec des coquillages. On met des éoliennes partout (il n’y aura peut-être plus de place pour les hôtels cinq étoiles) pour charger nos téléphones intelligents fabriqués à partir de recyclage d’excréments animaux (si tant est qu’il reste des animaux). Aucun changement culturel, politique, économique. Non. Juste trouver de nouvelles sources d’énergie. Et ça roule ma poule.


Et c’est qui ce « on » qui s’en charge à notre place ? C’est une bonne question, mais c’est sûr que c’est pas nous. Nous on regarde des séries bio, on grignote du pop-corn bio, on va voir le Machu Pichu bio pour s’ouvrir l’esprit bio et on attend sur notre canapé bio. Mais on attend quoi ?


Les « politiques » sont là pour aider


C’est une idée qui revient plusieurs fois dans ce livre (parce qu’Aurel a plein d’idées, mais pas trop quand même). Il va falloir faire des lois. Les politiques doivent désormais se retrousser les manches.


Que les chercheurs dans les domaines scientifiques n’aient aucune culture politique, ce n’est pas nouveau, mais ça surprend toujours un peu. Barrau pense donc que devant la destruction de la planète, ce sont aux femmes et aux hommes politiques de prendre leurs responsabilités (« sinon à quoi est-ce qu’ils servent ? »). C’est eux qui vont nous aider à limiter notre hubris (démesure).


Ah ben en voilà un beau pari. Et qu’est-ce qu’ils fichaient jusque-là les politicos (à part cumulos des mandats et racontos n’importe quoi ?) Quelle belle âme ce Aurélien. Qu’est-ce qu’il veut nous rappeler ? Que les politiques sont les bergers de la population ? Qu’ils sont là pour nous protéger de nos erreurs, nous pauvres idiots qui détruisons la Net-pla ? Qu’ils n’ont aucune responsabilité dans les causes même du chaos à venir ? Que jusqu’à présent, ils dormaient ? Ou qu’ils jouaient à un jeu vraiment très prenant, genre football manager, et que maintenant, ils vont se réveiller ? Qu’ils étaient affalés dans un canapé comme des marionnettes et qu’ils vont désormais se transformer en sauveurs de la planète ? Des sortes de poupée Chucky du sauvetage. Étrange.


Et les politiques c’est quoi leur train de vie ? Yourtes et toilettes sèches ? Monnaies locales et sandwich bio faits maisons ? Solidarité et artisanat ? J’ai covoituré il y a quelques années avec un pilote d’avion qui organisait les voyages (en avion donc) du ministère de… l’écologie… sur le territoire français (Paris-Nimes, Paris-Clermont etc) Suivons donc l’exemple de nos bergers qui sont sur le point de se réveiller pour nous remettre dans le droit chemin.


Aussi étrange que cela paraisse, il semble plus facile pour certaines personnes de parler du big-bang et des équations de la relativité que d’aborder des sujets de vie publique.


L’éducation


Aurélien insiste sur le fait qu’il faut éduquer les plus jeunes au « plus grand défi de l’humanité ». Il faut leur « donner les outils intellectuels pour trouver les solutions dont nous ne percevons pas la possibilité ».


Aurait-il oublié que l’Éducation nationale investit aujourd’hui dans l’Ipad en masse et, depuis le confinement, dans les EdTechs (quel joli mot) pour un enseignement à distance qui va combattre l’illettrisme grâce à Zoom ? N’y a-t-il pas une contradiction dans les termes ? [Sans parler du fait que l’université est aujourd’hui un véritable cadavre]


Es-tu sorti de ton laboratoire chercheur ?


La nouvelle génération est la génération Greta Thunberg (génération GT). Une génération indignée. On a peut-être une chance. Mais mince. Est-ce qu’on a pas oublié une partie en route ? Elle est aussi la génération de Gradur, Maes, Soprano, PNL, dont les clips enrichissants et éducatifs sont remplis de hors-bords et de poitrines militantes en silicone bio, la génération de Pornhub, Twitter, Tinder, Tiktok qui est prête à faire un virage à 180 pour sauver le monde et relever le défi, la génération kikou lol tapa cen dol ? qui, après quelques parties de poker et de Fortnite, après quelques visionnages de Ultimate Fighting Championship, va elle aussi se retrousser les manches pour raviver l’artisanat et la simplicité volontaire, et mettre les mains dans le cambouis. Aurélien a sûrement pensé à eux en écrivant son livre.


Rappelons que ce livre fait suite à une tribune parue dans Le Monde, signée par deux cents personnalités, et initiée par… Juliette Binoche (amie de Aurélien Barrau). Peut-être a-t-on là une explication de la déroute ? Juliette Binoche incarnerait donc la flamme écologique ? Avec le mode de vie qu’on peut supposer qu’elle a suivi toutes ces années ? Un peu comme son cousin Léo Del Caprio et ses Jets privés bio ? Avec de tels porte-paroles, on est en effet bien parti.


La science ou pas la science (un détail pour rire)


Aurélien nous explique que l’humanité est coupable d’un « crime contre la vie » ce qui est une sorte de prolongement des « crimes contre l’humanité », mais certainement en plus violent. Et il nous invite à développer une « biophilie ».
Rappelons que la seule théorie que nous possédons en biologie nous explique que l’évolution se base sur une lutte pour la survie des plus aptes. Donc une sorte de combat permanent, où les moins adaptés sont surpassés par les autres. Comment concilier la science et les crimes contre la vie ? [Je conseille d’appeler Patrick Tort et sa superbe théorie du ruban de Moebius, très solide]


Plus sérieusement : est-on obligé, pour faire preuve de tempérance, de tomber dans de pareils excès ? Dans de telles niaiseries bien pensantes ? Dans une adulation idiote de la vie en général qui fait que « les guépards » (cités par Barrau) et certainement les vers solitaires – mais j’imagine aussi les bactéries responsables du choléra, de la méningite ou de la coqueluche, qui sont des êtres vivants – sont valorisés en eux-mêmes ?


Il y a plus de trente ans maintenant, Murray Bookchin demandait d’éviter de tomber d’un côté dans l’écologisme de parti du type Les Verts, qui ne sert à rien si ce n’est à faire l’autruche, et de l’autre dans une misanthropie, une haine de la modernité qui renvoie l’espèce humaine à une simple masse d’imbéciles, avec en parallèle une mythification de la vie et de la nature complètement aberrante, au mépris de certaines connaissances élémentaires. Mais Aurélien a oublié.


Pourquoi personne ne fait rien, ou presque ?


Il faut absolument faire quelque chose. C’est urgent. Aurélien a raison (selon moi). Mais il ne semble pas se demander pourquoi, du coup, personne (ou presque) ne fait rien (Désolé, mais les marches climat et le tri intensif ne comptent pas).


Cela fait au moins cinquante ans (pour ne pas dire plus), que nous savons parfaitement que la société thermo-industrielle, société de croissance, de surproduction, de consommation à outrance, aujourd’hui imitée par les pays dits « en développement », ne peut mener qu’à une saturation de l’environnement très problématique. Les études scientifiques, ça peut aider, mais sans elle, un peu de jugement est tout à fait suffisant pour le comprendre. Il suffit de regarder autour de soi et de savoir que tous les objets que l’on aperçoit à courte distance, de notre paire de pompes lumineuses à nos écouteurs translucides, du macadam bien lisse sur la chaussée à notre tee-shirt Fuck the system, de la laisse de notre chien nourri aux croquettes Doggy Love à notre téléphone vraiment intelligent, sont produits de manière industrielle, à des échelles immenses, dans des endroits parfois obscurs de la terre (si possible loin de chez nous), parfois à partir de matériaux rares (voitures, téléphones, batteries et quantité de produits électroniques) qu’il faut extraire, transformer, transporter, stocker, recycler (ou disons... balancer dans la flotte ou enterrer). Ces objets sont souvent de très mauvaise qualité et il faut donc les changer tout le temps, et même lorsque leur qualité est correcte, on se fait vite chier dans notre monde d’abondance, et puis il faut bien remplir le garage, le cellier, le grenier, le placard de merdes inutiles, alors il faut aller faire des achats régulièrement en ville, pour s’occuper le samedi après-midi, décharger un peu de tension, et se refaire une santé (on l’a bien vu cette année, la santé c’est primordial), jusqu’à ce qu’un jour on se rappelle avoir un « porte cure-dent en forme de chien qui dit bonjour » ou « une pompe à canoë-kayak en plastique qui change de couleur » qui, à la manière d’une madeleine de Proust, nous rappellent notre jeunesse oubliée et réveillent en nous un sentiment puissant de nostalgie.


Donc on sait bien. Ou disons qu’on a de gros doutes qu’il y a anguille sous roche. À chaque fois qu’on appuie sur notre interrupteur, c’est tout un réseau de production, de maintenance, de transport, de communication, qui est en jeu. Les datacenters qui servent à accélérer nos recherches « meuf de Mbappé a poual » ou « koment trouver un mek qui ressemble à Sadek » dépensent plus d’énergie que la Somalie et le Guatemala réunis.


On sait et pourtant, les gens qui décident de prendre vraiment le problème à bras-le-corps, s’ils existent, représentent une infime minorité. Qu’est-ce qu’il se passe donc ?


Pourquoi les végans parisiens ne vont pas vivre dans le Vercors avec des vêtements qu’ils fabriqueraient eux-mêmes à partir de laine de mouton (sans exploiter le mouton) ? Pourquoi les anti-capitalistes ne prennent pas le risque de lancer eux-mêmes leur production auto-gérée, leurs coopératives, leurs réseaux de coopération et de solidarité, leurs banques et organismes de redistribution (avec les risques encourus) ? Ou pourquoi, quand il y en a qui prennent le risque de le faire, personne ne les suit ?


Quelques éléments de réponse :



  • Entre obtenir une information et passer à l’acte, il y a un monde parfois immense que peu d’entre nous aiment franchir.

  • Nous sommes lâches. Nous n’aimons pas prendre de risques. Nous aimons bien le confort de nos petites habitudes (et on aime bien aussi prétendre le contraire).

  • On aime être conscients, critiques, en colère, mais… pas trop assumer les conséquences légales, professionnelles, matérielles, familiales de tous nos engagements virtuels.

  • On tombe rarement d’accord sur ce qu’il faut faire à la place, et du coup on se chamaille vite et nos plans tombent à l’eau.

  • Il y a toujours une autre raison. C’est la faute du capitalisme, de l’État, de la bêtise humaine, de Descartes, des technocrates, de la 5g ou 6g, des Américains, des Chinois, des racistes. Enfin j’en passe. Tant qu’ils existent, c’est pas possible d’agir (parce qu’ils sont trop puissants). Ce serait naïf de penser le contraire.

  • Le tissu des relations sociales est faible. Qui serait prêt à accueillir un inconnu chez lui ? Qui connaît plus que le prénom de ses voisins de paliers ? Qui est en mesure d’amorcer une conversation dans un transport en commun ? Qui se lève sans frémir lorsqu’il voit une injustice, un acte très limite, un harcèlement arriver devant lui ?
    Je sais qu’il y en a mais sont-ils nombreux ?
    Et pour ne pas être hypocrite et prendre la question par les deux bouts : combien trouvent en eux des raisons suffisamment solides de faire tout ça ?
    On a deux millions d’amis sur la toile mais à l’extérieur, c’est l’habituelle foule solitaire et pour créer un corps politique, c’est difficile. Sans expérience commune, c’est difficile. Sans une vie publique riche, c’est difficile.

  • On veut sauver l’humanité, mais on trouve que son collègue est un gros con, son voisin un gros beauf, son patron un esclavagiste, le mec qui vote FN un pauvre con (con revient souvent), ses parents des irresponsables, ses gosses des morpions gâtés (ou ceux du voisin). Il reste plus grand monde pour aider du coup (et plus grand monde à sauver).

  • L’âge médian dans les pays riches ne cesse d’augmenter (entre 42 et 46 ans aujourd’hui) et il est plus difficile de demander à des gens de 60 ou 70 ans d’entamer des changements radicaux. Ce n’est pas de l’agisme. Juste un peu de bon sens.


On pourrait continuer comme ça longtemps. Il y a plein d’autres raisons que vous connaissez sûrement puisque vous non plus vous n’agissez pas (ou la plupart d’entre vous). Mais un premier point serait déjà de se confronter à cette apathie générale. Pourquoi nous nous complaisons dans cette insignifiance collective ? Et comment espérer quoi que ce soit à partir d’un terreau aussi peu fertile ?


Les questions qui fâchent ?


Aurélien nous rappelle qu’il est contre le totalitarisme écologique. Qu’il est pour l’ouverture des frontières aux réfugiés, contre le sexisme, l’homophobie et… l’islamophobie. Je ne sais pas pourquoi il nous rappelle son CV de bonne personne, peut-être est-ce juste au cas où on pense qu’il est méchant de nous déconseiller de jouer à Fortnite ou d’acheter des pompes fluos (pour certains, il l’est. C’est un rabat-joie, comme moi).


Mais, en tant que chercheur en astrophysique, est-ce qu’il nous explique que la mise à disposition d’un matériel de plus en plus gigantesque pour mettre en place des expériences pertinentes en physique appliquée, comme le Grand Collisionneur de Hadrons (LHC) à Genève, c’est pas trop la marche à suivre ?


Est-ce qu’il se demande si la démographie (le nombre de personnes sur Terre) n’est pas un problème ? Oui, il le fait. Et pour lui, c’est très simple. C’est non. Peut-être a-t-il raison, mais il faudrait s’étendre un peu plus sur la question quand même.


Est-ce que la migration générale, la banalisation des déplacements massifs n’est pas un problème ? Barrau a décidé de moins prendre l’avion, donc ça devrait aller.


Aujourd’hui, être écolo c’est bien, mais se poser des questions sur l’immigration, c’est mal. Pourtant la majorité des immigrés, dans les pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord, immigrent pour des raisons économiques, pour améliorer leur situation matérielle et financière. Qui leur en voudrait ? Oui mais bon… du coup… Est-ce qu’ils vont facilement accepter une diminution du confort de vie ? Est-ce qu’ils vont s’associer à un hypothétique corps politique qui voudra réduire drastiquement sa production ? Vivre de manière plus simple ? Et leur sucrer leur part du gâteau ? La question mérite au moins d’être posée. Mais c’est un tabou bien sûr. Et en plus c’est raciste.


Je pourrais continuer avec les questions qui fâchent, mais comme elles fâchent, on va me dire qu’elles n’aident pas à aller dans le bon sens.


Le catastrophisme comme solution ?


Pour Aurélien, la Terre c’est déjà un enfer en puissance. Le risque d’une disparition violente de notre civilisation est imminent. N’est-ce pas une forme de catastrophisme ? Est-ce que c’est une bonne idée le catastrophisme ? Ou la collapsologie douce ?


N’est-ce pas la meilleure manière de suggérer qu’en fait, c’est déjà foutu ? Que ça ne sert à rien de faire quoi que ce soit ? Ou qu’il faut instaurer une dictature verte ? (Genre d’idées que beaucoup préféreront à un véritable engagement personnel et collectif)


N’est-ce pas poser un climat délétère qui favorise l’irrationnel et le court-terme ? N’est-ce pas offrir la tentation de croire que toute proposition est utopique ?


Tu te moques Felou, tu n’arrêtes pas de critiquer, mais c’est trop facile. Alors toi, qu’est-ce que tu proposes ?


La question est classique. Mais moi aussi j’ai le droit d’être lâche, faible, sensible, hypocrite et attaché à mon petit confort ! Ceci dit, je vais quand même essayer de m’y coller rapidement (il faudrait un livre pour développer, mais personne ne le lirait, parce que je ne suis pas ami avec Juliette Binoche, ni avec John Dujardin).


Si nous avons affaire, comme le dit Barrau, au « plus grand défi de l’histoire de l’humanité », il faut déjà faire preuve d’un peu plus de sérieux.


C’est-à-dire, dans un premier temps :



  • Arrêter de penser que Yannick Jadot, Julien Bayou ou tout autre héraut de l’hydrogène vont nous sauver pendant qu’on regarde Casa de Papel ou Black Mirror à la téloche. C’est purement infantile.


  • Arrêter de penser que l’écologie peut s’adosser à n’importe quelle pratique déjà existante, comme un label rassurant. Porno écolo. Formule 1 écolo. Sous-marin écolo. Terrorisme écolo. Viol écolo. On va finir par croire que les pesticides verts, ça a un sens.
    Changer de type de société, ça veut dire changer vraiment*, à la racine*, pas juste changer de coque de téléphone, d’avatar ou de fond d’écran. C’est-à-dire se faire un peu violence.
    Ça doit se faire progressivement, mais de manière fondamentale.


  • Dans la même veine, arrêter de croire qu’on va conserver notre incroyable univers numérique (énergivore, asocial, virtuel) et sauver la planète en même temps (Avec des applis « citoyennes » et des jeux « ludiques et éducatifs »). Ou croire que la technologie va nous sortir du pétrin.


  • Éviter de ridiculiser tout appel à la simplicité et à un confort matériel énormément restreint par le rappel d’impératifs économiques « inévitables », en ravivant la menace de famines, de peste et de choléra si les compagnies d’avions ne sont pas maintenues en vie (ou n’importe quel autre type de business de grande ampleur).


  • Dans le même style, éviter d’invoquer la peur d’un retour au Moyen Âge. J’ai remarqué que les gens qui disent ça n’ont jamais lu un seul livre d’histoire sur le Moyen Âge. Certains pensent même que le Moyen âge, c’était il y a trente ans.



Dans un deuxième temps, il faut bien se rendre compte que la volonté et le courage politique qu’il nous faudrait pour entamer une sortie de route ne se trouvent à peu près nulle part. On est tous (ou presque) repliés sur nous-mêmes, confinés dans nos vies à moitié hallucinées, drogués au vide dans des bulles virtuelles. Je le répète : le tissu relationnel est faible et cela représente un obstacle majeur, un obstacle banal, mais déjà difficile à franchir pour un changement pertinent. L’individualisme (ou l’isolation ou l’atomisme) est devenu normal. La « perversion ordinaire » règne, comme dirait Jean-Pierre Lebrun (ici perversion, pour le dire vite, veut dire que l’on perçoit les autres comme des quasi-objets et non comme des personnes).


Tant qu’une partie importante de la population ne trouvera pas en elle des ressources pour se faire violence et créer un véritable corps politique, capable de se prendre en charge lui-même, un véritable espace public, qui ne soit pas accaparé par des médias qui nous hypnotisent et la mascarade décérébrée de la plupart gouvernants, il ne se passera à peu près rien. Ça ne fera même qu’empirer.


Nous devons prendre des décisions à la racine et, pour ce faire, nous avons besoin de créer une puissance de décision. De créer des institutions (sans attendre que des personnes officielles les créent à notre place) qui nous permettent d’être responsables, en tant que corps politique, des changements possibles. Cette puissance publique ne peut reposer que sur nous-mêmes (ce qui est également la seule manière, il me semble, d’éviter l’écototalitarisme, le règne faisandé des experts, un manque de réceptivité venant des couches aisées)


On ne peut pas évoquer d’un côté le plus grand défi de l’humanité (je ne partage évidemment pas l’utilisation de cette formule pompeuse, mais après tout, comme il ne faut pas couper les cheveux en quatre selon Aurélien, je suis prêt à la suivre) et de l’autre penser que la majorité des gens ne doivent pas s’impliquer et avoir un rôle central.


La démocratie ce n’est pas de demander aux gens d’appuyer sur un bouton toutes les deux semaines pour dire d’accord/pas d’accord. La démocratie est un projet de société. C'est un projet qui veut rendre réellement publiques les affaire publiques. Créer une culture du choix, de la décision, du raisonnement, de l'argumentation, de la responsabilité. Une culture dirigée vers l'espace public, l'espace qui appartient à tous, où chacun peut éprouver sa liberté et son appartenance au peuple. C'est un régime qui veut favoriser l'identification collective, la culture de l'intérêt général, l'articulation entre les différents « je » et le « nous » de la société. La démocratie repose (en partie) sur des mandats impératifs, des assemblées générales, des comités de quartiers, des fédérations, un usage ponctuel du tirage au sort, la prise en charge des postes de décisions par les citoyens eux-mêmes, la rotation des personnes en place, le contrôle réel des instances, un système juridique indépendant, un abandon de la professionnalisation dans le domaine politique.


Notre culture toute entière, notre rapport à la technique, à la nature, à la richesse, notre conception de la politique, notre système économique, le fond de nos personnalités, nos désirs : à peu près rien ne nous permet d’envisager aujourd’hui un rapport à l’environnement plus équilibré. C’est un problème culturel de fond. Pas un problème de pétrole, de lithium ou d’énergie solaire.


Donc, dans un deuxième temps, nous devons au minimum :



  • Arrêter de croire qu’un changement catégorique de nos modes de vie est utopique. Arrêter de croire que tout ce qui n’existe pas encore est utopique. L’homme invente en permanence (enfin disons régulièrement) des nouvelles formes politiques, des objets techniques, des pratiques sociales, des formes de savoir, etc. Ces inventions peuvent être parfois nulles et sans valeur, elles peuvent même être délétères, mais arrêtons de croire qu’elles ne peuvent pas exister.
    Il y a une quantité d’exemples historiques (jusqu’à l’avènement récent du numérique) où l’on observe des changements politiques, techniques, économiques, culturels fulgurants, qui demandent un investissement collectif énorme.


  • Se servir (si besoin) de la fiction pour faire apparaître des nouvelles pratiques concrètes (c’est-à-dire les jouer en vue de les rendre réelles)



Si dès demain se créait un parlement citoyen en Mayenne (par exemple), inventé ad hoc par une poignée de gens, avec des réunions régulières dans un stade de football, ouvertes à tous, ce parlement serait évidemment de valeur légale nulle. Si ce parlement discutait malgré tout activement de problèmes pertinents, votait des mesures possibles, attirait du monde, filmait ses débats, s’adossait à des relais d’information indépendants, bref mimait une activité politique bien réelle, il pourrait être imité rapidement par d’autres et donner lieu à une activité parallèle qu’il serait au final bien difficile d’ignorer. C’est un exemple. Mille autres sont possibles.


(J’ai par exemple assisté à plusieurs réunions du Grand Débat organisé en 2019, et si c’était évidemment consternant, volontairement mal organisé, de la pure stratégie de communication, une démonstration de mauvaise foi épatante, j’étais malgré tout déçu que les gens ne s’en emparent pas pour en faire déborder le sens et s’approprier l’événement, ce qui aurait pris l’État complètement au dépourvu)



  • Ne pas sombrer dans le primitivisme ou le pré-modernisme. En appeler à la Terre Gaïa ou à la mère nature, se replonger dans des croyances primitives risque de nous faire sombrer dans un obscurantisme pas forcément plus souhaitable que « la fin del mundo ».


  • La plupart de mes collègues sont écolos sans le savoir. Pourquoi ? C’est facile. Parce qu’ils ont pas un rond, parce qu’ils sont pas urbains et parce que leur travail est précaire. Donc au lieu de revendiquer des salaires toujours plus haut, de vouloir toujours se partager le gros gâteau, avec des parts plus grosses pour tout le monde, que ce soit sous la forme du salaire à vie (qui nécessite une croissance continue, les marxistes et leurs héritiers n’étant pas très « écoolos ») ou d’une taxation générale, ou de je ne sais quoi, peut-être faudrait-il un jour revendiquer des revenus plus bas pour vivre comme des pauvres.
    Ça va pas en exciter beaucoup, je sais bien. Il y a en a même qui vont me dire que je ne sais pas ce que c’est que de vivre dans la pauvreté et que c’est honteux de dire ça. Mais si je le dis, c’est justement parce que je le fais. Comme mes collègues.
    La pauvreté n’est pas seulement une question d’argent mais une question culturelle.


  • On ne pourra pas changer quoi que ce soit sur l’état de la planète si on ne change pas la nature du monde du travail. Si on ne trouve pas une autre manière de valoriser l’activité et de la socialiser. Si le profit reste notre source de motivation première, comme il a vertu à être dépensé ou réinvestit, ça ne va pas être facile de consommer moins ou de limiter la « destruction créatrice ». Il y a toute une pensée économique à inventer.


  • Accepter que des pratiques culturelles simples et fondamentales, basées sur la parole, les rencontres en face-à-face, les échanges d’expérience, les savoir-faire élémentaires, ça ne pèse rien face au Leviathan du divertissement général, du tourisme de masse, des événements sportifs planétaires. Il va falloir créer un désir de simplicité et de dénuement qui a peu de chance de convaincre, et qui est pourtant fondamental. Comment s’y prendre ?


  • Raviver un esprit tragique que nous avons perdu. Par exemple accepter que la mort fait partie de la vie et arrêter de vouloir toujours plus de techniques pour se protéger de tout (de l’inconnu, de l’avenir, de l’ennui, de la désorientation etc), ou de faire de la simple durée de vie un critère (aussi pourrie soit cette vie).


  • Développer une véritable culture technique, pour des techniques « ouvertes », à échelle humaine, et de très basse énergie. Des techniques qui n’ont pas pour but d’être remplacées tous les quatre matins et que les gens peuvent s’approprier (et non pas seulement recevoir comme des objets industriels déjà fonctionnels). Des techniques dont le but final n’est pas le confort mais l’individuation (la formation de l’individu, l’enrichissement de ses perspectives)


  • Arrêter d’invoquer d’un côté « la sauvegarde de l’humanité » d’un côté et de se comporter comme un porc de l’autre. C’est l’effet James Bond bien classique. Ayant fréquenté quelques milieux d’extrême-gauche, j’ai l’habitude de voir des gens arrogants qui prétendent vouloir sauver le monde (ou le peuple, ou les damnés de la terre) et qui détestent les personnes réelles qui se trouvent autour d’eux, qui aiment bien les manipuler, leur parler comme de la crotte, des gens étroits d’esprits, qui jonglent avec de belles idées mais qui aiment bien le pouvoir et qui trouvent que tous ceux qui ne pensent pas comme eux sont des idiots. C’est le degré zéro de tout.



Je pourrais continuer longtemps. Mais maintenant c’est à vous. Si je suis aussi peu pertinent que Aurélien, si vous aimez Ultimate Fighting Championship, si vous vivez déjà dans le monde d’après, si vous êtes climato-sceptique, faites-le-moi savoir. Les commentaires sont ouverts.

Feloussien
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le 28 mai 2021

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