Très curieuse expérience que la lecture du "Portrait de Dorian Gray". Il s'agit en vérité de l'une des oeuvres les plus ambivalentes que j'aie pu lire.

Ambivalente, parce que j'en adore une petite moitié du contenu, et que l'autre grosse moitié m'ennuie prodigieusement. Arithmétiquement, donc, cela laisse une impression générale (donc une note) globalement tiède.

Trois personnages constituent ce roman du très mondainement cité Oscar Wilde (tous les autres personnages sont accessoires) :
- le Beau : Dorian Gray
- l'Artiste : Basil Hallward
- le Cynique : Lord Henry Wotton

Le Beau est celui qui change le plus. Une sorte de nouveau Narcisse, dont le portrait par l'Artiste est comme l'eau du lac du mythe grec. Il s'y admire et va en dépérir. Nouveauté cependant : le Beau veut, chez Wilde, conserver sa Beauté physique, en jouir éternellement. Cela ne se fera qu'au moyen d'un pacte scellé avec le Diable, par l'entremise du tableau qui, lui, vieillira, noircira de l'obscurité d'une âme dont la corruption ira croissant.
Seulement toute cette partie, qui constitue pourtant, a priori, le coeur de l'oeuvre (en témoigne le titre), ne m'a vraiment pas intéressé. Dorian Gray n'est pas un personnage intéressant. Il ne m'a ni captivé, ni séduit. De nombreux longs passages descriptifs remplis de richesses esthétiques m'ont puissamment lassé, au point que j'étais soulagé d'achever les derniers mots de cette oeuvre pourtant pas si longue que cela.

L'Artiste n'est pas mieux. Le personnage, et c'est semble-t-il intentionnel, est assez creux, il n'a pas l'intelligence du Cynique, ni l'éclat du Beau. L'Artiste n'est qu'un outil. Il rend possible l'oeuvre, mais une fois celle-ci réalisée, elle se passe de lui sans difficulté, tant elle s'autosuffit. Basil Hallward n'est pas non plus un personnage intéressant (question de goût personnel aussi de la part de l'esthète que je suis : je n'aime pas son nom... ça n'aide pas). L'Artiste est en retrait par rapport au Beau et au Cynique. Il est diaphane et passe avec le temps, sans laisser de véritable souvenir.

Le Cynique, voilà l'unique personnage intéressant. Le Cynique est le Vrai ayant revêtu la robe du Défi. Le Cynique assène ses aphorismes avec froideur, avec détachement. Il a toujours raison. D'aucuns n'aiment pas le Cynique ni ses vérités parce que celles-ci contreviennent à leurs évidences, et que cela les choque. Ils ne veulent pas l'accepter. Le Beau a aimé Lord Henry Wotton parce qu'il lui a révélé sa Beauté. D'autres enfin, tâchent d'apprendre de lui.

Si "le Portrait de Dorian Gray" est une oeuvre marquante pour moi, c'est uniquement par son Cynique. Rien ne m'intéresse hormis lui, parce qu'il est le seul à porter plus loin les horizons de l'intelligence. Tous ses aphorismes, définitifs, pourraient être des devises. Ils sont à ressasser encore et encore, pour s'imprégner de leur Vérité. Le Cynique est intemporel, il traverse le temps sans changer, imperturbablement au-dessus. Aucune éthique ne me semble pouvoir/devoir se fonder sur ses enseignements. C'est d'ailleurs l'une des erreurs du Beau, à mon humble avis.

La préface de Wilde rejoint le style aphoristique du Cynique. C'est plaisant, c'est puissant.

Et c'est ce qui me restera, comme partie de miroir constructive.
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le 11 mai 2013

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