L’intrigue commence très bien, je dois avouer avoir été captivé par cette excellente introduction opposant le pragmatisme au sentimentalisme. On y trouve à mon sens une grande lucidité de l’auteur au sujet des relations amoureuses et/ou passagères. Cette véracité sur la raison d’être est malheureusement très vite occultée par une trame fantastique. Les jugements moraux basés sur des faits raisonnables se mélangent moyennement avec l’intrigue surnaturelle du portrait vieillissant à la place de l’homme. C’est pour moi le gros défaut du livre, les chapitres traitent de sujets différents qui n’ont souvent aucune corrélation entre eux. L’auteur y a simplement posé un personnage principal sans charisme, prétexte à nous faire découvrir des choses plus intéressantes que lui-même, à commencer par Lord Henry, seul et unique protagoniste justifiant d’être lu, dont la justesse des propos lui auraient valu un ouvrage dédié.


Du chapitre 3 au 19, le sujet change complètement, nous avons là 200 pages de descriptions indigestes et divers errements du personnage principal qui ne font avancer en rien l’intrigue. Sont traités la mode décrite façon téléshopping mais en plus chic, la place des hommes et des femmes dans la société (de l’époque), les Français et les Américains vus par les Anglais, la vie de tous les jours des aristocrates britanniques. Bref des passages à oublier sauf si vous êtes adepte des détails et des belles tournures de phrases. Personnellement ne pas lire un seul mot sans que lui soient collés 15 adjectifs tirés par les cheveux m’épuise. L’intrigue autour du portrait et les différents non-événements précipités dans l'œuvre manquent de cohérence et d'intérêt, les retournements de situations sont grotesques et m’ont fait dire à plusieurs reprises “OK, on est dans une fantaisie donc pourquoi pas, m'enfin bon..”. Seulement, la logique implacable de Lord Henry nous revient sans-cesse, la fable se mélangeant au réel devient improbable. Vous l’aurez compris, je n’aime pas mêler le pragmatisme au fantastique à moins d’y donner une explication.


Pour ce qui est de la prétendue subversion du roman, même pour l'époque, je n'ai pas l'impression que cela aille bien loin. Ok il y a de l'homosexualité dans l'air, m'enfin il faut la dénicher et n'allez pas me faire croire que ça n'existait pas dans la haute société des années 1890.. Oscar Wilde le dit d'ailleurs très justement à travers Lord Henry : "Quant à se faire empoisonner par un livre, cela n'existe pas. L'art n'a aucune influence sur l'action. Il anéanti le désir d'agir. Il est superbement stérile. Les livres que le monde appelle immoraux sont les livres qui lui montrent sa propre honte." L’auteur a donc mis dans ce livre sa propre honte partagée par bien des bourgeois de l'époque. Certes le livre en tant qu’ouvrage commercialisé est provocateur et peut-être précurseur mais le sujet l’est beaucoup moins.
Le non-conformisme du portrait de Dorian Gray est le même que celui de Cinquante Nuances de Grey aujourd'hui, insipide et dépassé. Ils n'ont fait que relater à une plus grande partie de la population des faits déjà existants depuis des décennies voire plus.


Malgré ces aspects négatifs, Oscar Wilde a su créer une fable devenue intemporelle. C’est simplement dommage qu’elle soit incarnée par un personnage comme Dorian Gray, aussi banal qu’incohérent.

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le 28 avr. 2021

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