Charles Hobuhet est-il seulement « un jeune homme aigri, dont l'esprit est peut-être momentanément dérangé » et qui mène une « vengeance contre la race blanche » ou est-il réellement possédé par le Preneur d'âmes ?
Le monde des rêves et des esprits existe-t-il seulement dans la tête d'Hobuhet et dans les légendes indiennes ?
De ce fait, le crime que veut perpétrer Charles Hobuhet est-il justifié ? Peut-il en être excusé car il est devenu Katsuk, celui par qui la vengeance des esprits s'exprime ?
Voilà les questions posées par Frank Herbert dans Le Preneur d'âmes.

Dans ce roman, le célèbre auteur de Dune se garde bien de répondre à la question qu'il pose lui-même. Et on l'en félicite car il serait bien difficile de donner une réponse. C'est en effet cette incertitude quant à l'existence de forces supérieures et animistes qui rend la question fascinante.
Est-ce une coïncidence si un corbeau apparaît toujours fort à-propos ? Est-ce le hasard qui amène aux pieds de Katsuk la branche parfaite qui lui permettra de fabriquer un arc ? N'est-ce pas plutôt parce qu'Abeille et Corbeau veillent sur l'instrument de la vengeance indienne ? Cette incertitude plane tout le long du roman, permettant à l'auteur de nous donner deux points de vue opposés, et de les justifier.
De ce fait, il n'est pas aisé de classer Le Preneur d'âmes. Tout élément fantastique du roman (s'il y en a) est sous-entendu, jamais vérifié.

Comme parfois chez Herbert, l'histoire n'est que le prétexte à la rencontre entre un ou plusieurs hommes et une certaine réalité. C'était déjà le cas dans Le Dragon sous la mer (1956), par exemple. En cela, Philip K. Dick et Frank Herbert peuvent être rapprochés. Mais là où le premier plonge ses personnages dans une schizophrénie paranoïaque, et avec eux, le lecteur, le second garde les pieds sur terre, exposant la folie, les autres façons de percevoir la réalité, avec bien plus d'objectivité, souvent grâce à la présence d'un personnage considéré sain d'esprit, arbitre de la frontière entre réalités et illusions.
Dans Le Preneur d'âmes, cette bouée est David Marshall. Adolescent de 13 ans enlevé par Charles Hobuhet. Ce dernier veut donner une leçon aux blancs, les hoquats, dont certains ont violé sa sœur qui s'est ensuite suicidée. David Marshall devient la victime innocente, destinée à être immolé en l'honneur du Preneur d'Âmes. Mais encore faut-il que David comprenne pourquoi il va être tué. Il doit aussi l'accepter. « A moins que tu ne me le dises de le faire, je ne te tuerai pas » lui indique Hobuhet.

Le Preneur d'âmes est aussi une invitation à la découverte de la mythologie indienne, de sa magie, de la philosophie de vie des Indiens d'Amérique du Nord. Bien sûr, ce n'est que des éléments abrégés que nous offre Herbert. Le sujet nécessiterait de vastes prises connaissances pour être jugé dans toute sa profondeur. Mais les éléments fournis suffisent à l'introduire le tiraillement ressenti par les Indiens entre modes de vie moderne et ancestraux. Ils permettent de le cerner globalement – à défaut de totalement.
« Même dans ce pays... dans les montagnes de votre Est, dans le Sud, dans les grandes villes, des gens ont faim. Des gens meurent de faim chaque année. Des vieux, des jeunes. Mon peuple meurt de cette manière aussi, parce qu'il essaie de vivre comme des hoquats » ainsi que le dit Katsuk.

Le Preneur d'âmes aborde plusieurs thèmes chers à Herbert.
D'abord le décalage entre l'Homme et la Nature. « Vous vivez contre la nature, et non avec elle » affirme l'Indien à David. Parfaitement adapté à la survie dans la forêt, il pêche à main nue et connaît plantes et insectes comestibles. Katsuk n'est pas sans rappelé un Fremen de Dune, résistant féroce à un envahisseur (ici les blancs qui ont pris les terres indiennes).
Herbert s'attache également à la problématique de l'assassin face à son crime. La question de la justification d'un crime est semble-t-il majeure pour l'auteur. Dans Le Preneur d'âmes, Katsuk est opposé à sa victime qui doit mourir, mais qui ne le mérite pas, que l'assassin vient à respecter. En somme, il oppose le tueur à sa future victime et à l'horreur du meurtre qu'il n'a pas encore commis. Plus tard, dans La Mort blanche (1982), Herbert met John O'Neill, inventeur d'un virus mortel qui ravage l'Irlande, face aux conséquences des meurtres qu'il a déjàcommis.

Le Preneur d'âmes, sans être un roman majeur dans l'œuvre de Frank Herbert, est donc parfaitement rattaché à cette dernière. Il y expose certains de ses thèmes de prédilection et les explore avec la subtilité et le talent qui lui sont habituels. Les fans de l'auteur puiseront matière à nourrir leur dévotion pour Le Maître. Pas sûr que les autres y trouveront grand-chose pour aviver leur intérêt. Mais de toute façon, ce ne sont que des vilains. Na !
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le 19 déc. 2010

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