Lu en Mars 2021. Edition Folio. 6/10


C'est un roman qui m'est vraiment obscur et je dois reconnaître que je ne pense pas l’avoir compris. Dès le début, pendant la scène du bal on se demande : Qui sont les personnages ? Où se situent-ils dans l'espace ? Et on est donc lâché dans cet inconnu peu accueillant. Le rythme syncopé et oral accentue cette difficulté de représentation du monde qui nous est proposé.


Néanmoins, ce rythme et ce style sont autant une faiblesse qu'une force pour le roman. En l'occurrence, je trouve la progression par ellipses, au début du roman, très intéressante. Le choix du narrateur de nous raconter seulement ce qu'il connaît de Lol V. Stein et de sa vie est aussi à double tranchant mais conditionne les émotions que nous allons ressentir pour les personnages.


 D’ailleurs parlons-en… Tous les personnages semblent être des maniaques, des troublés, des dépressifs, bien que Lola soit la plus grande dépressive du casting. Ils ne sont donc en rien attachants, ils sont tous définitivement immatures, définitivement dépendants d'une chose ou d'une autre. Mais je crois que ça s’explique par le fait qu’on s’en fout DES personnages puisque Stein polarise la moindre parole prononcée. Elle tire les ficelles de l’intrigue bien qu’elle ne connaisse ni ce qu'elle est, ni ce qu'elle veut. Elle concentre absolument chaque conversation sur elle, chaque réflexion, à tel point que ça en donnerait le tournis, que ça nous rendrait presque fou, et c’est certainement un effet recherché par Duras. 

C’est d’ailleurs ce qui m’apparaît avec le recul, Duras, dans ce livre, n’écrit pas une histoire romanesque, elle pratique une sorte d’hypnose. Autant sur nous que sur elle (il n y a qu’à voir l’interview qu’elle donne sur ce livre pour voir à quel point elle est défoncée - par quoique ce soit). En fait, l'autrice est si impliquée dans le style, elle transparaît tellement dans son œuvre qu’il y a nécessité de se mettre à sa place pour s'imprégner de la progression et de la composition de l'œuvre. Ce qui rend la lecture, pour ma part, véritablement éprouvante.


Une lecture éprouvante, peu palpitante donc, mettant en scène des histoires d’amours de maniaques sans que l’on sache trop pourquoi, mais qui est sauvé par son style !
Qui est le narrateur ? Comment cette polyphonie perpétuellement présente influe t-elle sur la véracité des évènements qui nous sont livrés ? Avons-nous accès aux sentiments profonds de Lol V. Stein ou au contraire ne faisons nous que l’observer de l’extérieur ? Pourquoi le terme "j'invente" implique t-il un changement de narrateur ?

Toutes ces questions, toute cette brouille, semble évidemment volontaire. Ce livre est une sorte d’exercice de style dans lequel le lecteur est acteur. Il doit accepter les règles du jeu.
Il doit accepter le côté ridiculement bourgeois, la sensualité mise en lumière des personnages frigides, une fin ouverte qui colle avec la narration générale du livre mais qui déçoit, qui n’apporte pas de réponse. Apprécier ce livre c’est accepter toutes ces particularités. Et moi je n’ai pas entièrement réussi.


Je conclus en citant un bout de la critique d’Eggdoll qui a tout dit et qui me semble tout à fait pertinente :



Lire le livre a été une expérience neutre, ni agréable, ni vraiment désagréable […] Je ne comprends pas ce livre. Je déteste tout ce qu'il représente : la bourgeoisie creuse, abordée comme un sujet et non de manière critique, sans qu'on ait quoi que ce soit à en dire ; l'américanisme gratuit ; le vide psychologique ; les personnages présentés comme de purs corps sans âme ; l'évitement des vrais sujets ; l'amour superficiel, au premier regard, auquel on ne croit pas (rien n'est crédible dans ce livre).
D'un autre côté je n'ai pas détesté la plume ; j'ai été presque tenue en haleine (car je m'attendais à du contenu qui n'est jamais venu : la déception !) et ma curiosité pour le personnage de Lol a été un peu attisée, j'ai bien compris que le but était de donner envie de le comprendre, pour qu'on se rende compte qu'en fait, il n'y a rien à comprendre, c'est une étrangère au sens camusien ; le sujet n'est certes pas nouveau, mais après tout, on n'est pas obligé.e de n'avoir qu'un seul Meursault. Mais alors faire une version bourgeoise, stagnante, fondamentalement vaine et en surface, de L'Etranger, ça, j'avoue que ça me laisse pantoise. Cette prétention à traiter le sujet de la folie quand on ne traite rien d'autre que le vide intersidéral d'une tête de linotte bourgeoise sans sentiments, pantin gracieux d'une société machiste dont la pertinence n'est jamais interrogée ; j'en reste coite.
https://www.senscritique.com/livre/Le_Ravissement_de_Lol_V_Stein/critique/236982240



« D’abord elle sortit de temps en temps, pour faire des achats. Puis elle sortit sans prétexte, régulièrement, chaque jour. Ces promenades lui devinrent vite indispensables comme tout chez elle l’était devenu jusque-là : la ponctualité, l’ordre, le sommeil » (p44)
« Je suis l’amant de Tatiana Karl » (p75)
«  - Écoute Jean. Parfois il joue jusqu’à quatre heures du matin. Il nous a complètement oubliées.
- Tu écoutes toujours ?
- Presque toujours. Surtout quand je
Tatiana attend. Le reste de la phrase ne viendra pas. » (p93)
« Comme ils se taisent encore, pense Tatiana. J’ai l’habitude, je sais le faire sombrer dans des hébétudes muettes et tristes, il en sort avec peine, elles lui plaisent. » (p154)

Arimaakousei
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le 10 mars 2021

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Arimaa_kousei

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