Le Rêve
7.2
Le Rêve

livre de Émile Zola (1888)

Œuvre relativement courte, Le Rêve, d’Emile Zola, paraît en 1888. Il nous raconte l’histoire d’Angélique, une orpheline de neuf ans, recueillie un matin de Noël 1860 par les Hubert, près de la cathédrale de Beaumont (Picardie)* où elle s’était réfugiée alors que la neige tombait en abondance. Cette enfant est une Rougon mais ne portera jamais ce nom car elle sera adoptée par les Hubert.


Ces derniers vivent tout près de la cathédrale. Par le passé ils se sont mariés contre l'avis de la mère d'Hubertine et ont perdu leur enfant le soir du décès de cette femme. Ils supposent alors que cette dernière – qui a déshérité et maudit Hubertine –, les empêche (par-delà la mort !) d'avoir un autre enfant. Ils souhaitent donc qu'Angélique soit heureuse tout en lui évitant de connaître les affres de la passion.


Elle est ainsi élevée en recluse, ne sortant qu'à de (très) rares exceptions ou pour aller à la messe. Le reste du temps elle apprend l'art de la broderie, occupation professionnelle des Hubert qui brodent des chasubles, des mitres et autres objets destinés au culte (les responsables de la cathédrale sont leurs clients)**. Angélique réussit rapidement dans cette activité. En dehors de la broderie, elle lit La Légende dorée, qui relate des vies de saints. Elle se passionne pour sainte Agnès qui refusa d'épouser un gouverneur, fut traînée nue dans les chaînes mais ses cheveux poussèrent en masse pour la vêtir.


Cependant, vers seize ans, elle commence à observer l’environnement qui l’entoure de son balcon d'où elle peut voir une rivière, divers jardins, une partie de la cathédrale, un vitrail représentant saint Georges vainquant le dragon, etc. A ce balcon, elle attend un miracle : l'apparition d'une personne extraordinaire, à la fois humaine et céleste.


Cette apparition se présentera sous la forme d’un jeune homme, Félicien, peintre verrier qu’elle identifie à saint Georges descendu de son vitrail. L’amour naît entre ces deux êtres. Mais Félicien n’est pas n’importe qui : fils de Monseigneur d’Hautecoeur, « riche à millions », la différence de statut social conduit leurs familles à s’opposer à leur mariage (« jamais » répète ainsi le père de Félicien).


A cet égard, le chapitre trois contient certains passages qui annoncent les difficultés qui se présenteront. Angélique rêve d'épouser un prince, ce qui est l’occasion d’échanges assez animés avec ses parents adoptifs :



  • « Ma fille, tu verras plus tard, tu connaîtras la vie.

  • La vie, je la connais.

  • Où aurais-tu pu la connaître ? ... Tu es trop jeune, tu ignores le mal. Va, le mal existe, et tout-puissant. »


Si Hubert semble suivre Angélique dans ses idées, Hubertine ne se gêne pas pour les reprendre, d’une manière assez cinglante :



  • « Tais-toi ! tu me fais trembler... Malheureuse, quand nous te marierons à quelque pauvre diable, tu te briseras les os, en retombant sur la terre. Le bonheur, pour nous misérables, n’est que dans l’humilité et l’obéissance. »
    Angélique continuait de sourire, avec une obstination tranquille.

  • « Je l’attends, et il viendra.

  • Mais elle a raison ! s’écria Hubert, soulevé lui aussi, emporté dans sa fièvre. Pourquoi la grondes-tu ? ... Elle est assez belle pour qu’un roi nous la demande. Tout arrive. »
    Tristement, Hubertine leva sur lui ses beaux yeux de sagesse.

  • « Ne l’encourage donc pas à mal faire. Mieux que personne tu sais ce qu’il en coûte de céder à son cœur. »
    Il devint très pâle, de grosses larmes parurent au bord de ses paupières. Tout de suite, elle avait eu regret de la leçon, elle s’était levée pour lui prendre les mains. Mais, lui, se dégagea, répéta d’une voix bégayante :

  • « Non, non, j’ai eu tort. Tu entends, Angélique, il faut écouter ta mère. Nous sommes deux fous, elle seule est raisonnable... »


Le dénouement final tournera autour de ce mariage a priori impossible avec Félicien et sera empreint de religiosité. La fin est-elle heureuse ? Angélique a-t-elle réalisé son rêve ou bien vit-elle dans un rêve ? Différentes interprétations sont possibles.


Si ce roman aborde plusieurs thèmes (le fantastique médiéval, la foi populaire et le renouveau du mysticisme, l'amour) il contient relativement peu d'action et la religiosité est peut-être un peu trop pesante, ce qui peut conduire à préférer des scènes moins chargées à cet égard, comme celle où Angélique lave du linge dans la rivière (mine de rien c'est sans doute un des passages les plus animés de ce livre). Dernier point, l'édition que j'avais en main (qui n'est pas celle affichée au début de ce message) contenait un nombre important de fautes d'orthographe, ce qui pénalise le plaisir pris à la lecture.



  • Il serait intéressant de voir les ressemblances et les différences entre l'univers décrit par Zola et celui de Hugo dans son ouvrage de 1831.


** D'ailleurs le roman fournit des descriptions très détaillées non seulement sur l'art de la broderie mais aussi sur les processions liturgiques, les récits de La Légende dorée...

Anvil
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le 15 août 2015

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Anvil

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