Il est agaçant ce Julien Sorel, non ? Tellement présomptueux... Si je l’avais rencontré dans la vraie vie, sa suffisance aurait suffit à le priver de toute mon attention en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Ce sentiment à son égard est renforcé par son mode de pensée qui se révèle constamment dicté par des considérations militaires. Rien ne semble spontanée chez lui ; et les rares fois où il se laisse aller à un certain naturel, il m’a paru ridicule ! Et pourtant, c’est à travers ce personnage ô combien antipathique que « Le Rouge et le Noir » (1830) condamne l’ordre social strictement hiérarchisé du milieu du XIXe siècle ; ce même ordre responsable du manque d’espoir laissé à la génération issue des classes dites inférieures. Julien Sorel n’est que le fruit de son époque : une jeune âme dont la seule motivation est de gravir l’échelle de l’ascension sociale. Son ambition aura toutefois raison de lui puisque non content de pouvoir atteindre un bonheur simple et un destin tranquille, le jeune homme cultive tout au long du roman une volonté de devenir riche par des moyens qui flattent son orgueil : « soit par le rouge de l’uniforme militaire, soit par le noir de l’habit du clergé »*. Finalement, Stendhal dresse, en filigrane, le portrait d’un héros résolument moderne animé par des revendications égalitaires et une soif de surpasser l’humiliation première liée à ses origines modestes.
Citation extraite de « Le Rouge et le noir, chef d’œuvre de Stendhal » dans l’émission de France Culture Ça ne peut pas faire de mal animée par Guillaume Gallienne (07/07/2020)