Le Tartuffe
7.1
Le Tartuffe

livre de Molière (1669)

Ce Tartuffe me donne bien des soucis... C'est une pièce qui m'emporte complètement dans les trois premiers actes, qui me déçoit carrément dans le quatrième, et me désespère au cinquième. M'étant documentée sur l'histoire de cette pièce, je saisis ce qui ne colle absolument pas (à mon avis) dans cette comédie extrêmement prometteuse.


Vous savez tous que Le Tartuffe a connu moult déboires : la pièce initiale, en trois actes, fut représentée en 1664, puis interdite, à nouveau représentée après remaniement, dont ajout de deux actes, en 1667, à nouveau interdite, pour finalement connaître le succès en 1669 avec une troisième version, celle que nous connaissons. Pendant ces cinq années, le projet de Molière avait forcément évolué, puisque, s'il voulait la faire représenter, il fallait bien la rendre acceptable aux yeux de ses détracteurs - ce qui, on l'aura bien compris, n'alla pas de soi malgré les compromis nombreux qu'il concéda.


On ne possède ni le texte de la première version, ni celui de la seconde, mais les chercheurs ne sont pas restés les pieds dans le même sabot, et on en conclut généralement aujourd'hui que, contrairement à ce qui était écrit dans les notices de la pièce qu'on trouvait dans les années soixante-dix et quatre-vingt des fameux Classiques Larousse, le premier Tartuffe n'était en rien une comédie inachevée et que la conception en trois actes avait bien été voulue par l'auteur. En outre, la première version devait se terminer par le triomphe de Tartuffe. Ce qui change un peu la donne.


J'avais lu la pièce, je le précise, avant d'aller à la pêche aux informations. Mais voilà qui me permet très précisément de toucher du doigt ce qui me pose problème dans Le Tartuffe. Un texte trop long qui s'étiole au fur et à mesure des actes, avec deux ou trois personnages peu intéressants, comme Valère et Marianne (inexistants ou peu présents dans la première version), un retournement de situation facile, et une faiblesse dans l'étude du caractère de Tartuffe, hypocrite professionnel qui berne presque tout le monde, et qui tombe le masque à un vitesse carrément stupéfiante. D'un coup d'un seul, Tartuffe - et l'intrigue avec lui - perd presque tout intérêt. Sans parler de cette fin horrible qui se perd dans un éloge mielleux d'un courtisan pour son roi - un modèle du genre ! Conclure une pièce sur l'hypocrisie par un texte tout aussi hypocrite, voilà pour le moins qui fait perdre sacrément de sa force à la charge.


Alors, je ne suis pas idiote, je me doute bien que Molière, qui était tapissier du roi et dirigeait la troupe du Roi (à partir de 1665, je crois), après tous les déboires qu'avait subi la pièce, s'estimait redevable à Louis XIV qui l'avait soutenu durant cette bataille (discret, le soutien, mais bon, quand même). Du coup, l'intervention du roi dans la pièce et son éloge à la fin suivent une logique certaine et, au moins du point de vue de Molière, nécessaire. Pour autant, voilà qui porte préjudice à cette même pièce, qui avait déjà bien souffert des ajouts d'actes et autres remaniements.


J'ajouterai que je trouve qu'on a peut-être trop tendance à vouloir interpréter Le Tartuffe au vu de l'actualité. Il me semble que tout le monde y voit un peu ce qu'il veut, et ça peut aller de Daesh à François Fillon candidat aux élections présidentielles, en passant par une directrice de foyer catholique pour jeunes filles (ce dernier exemple étant évidemment pris tout à fait au hasard). Les faux dévots, j'imagine, ont existé de tout temps et la critique n'est pas inutile, à condition de ne pas oublier le contexte initial du texte. Certes, il existe un peu partout des Tartuffe, certes, on a affaire en ce moment à un retour en force du religieux, certes, il existe une crise la laïcité en France... Mais l'actualisation à tout prix a, je crois, ses limites, et Molière n'est en rien, dans cette pièce de 1669, un défenseur des libertins (ainsi nommait-on alors les athées, qu'on appellera également à d'autres époques libres-penseurs).


Je vais tout de même m'attarder rapidement sur ce qui fait les qualités de la pièce, car, malgré les défauts que je lui trouve, elle n'en manque pas. Les trois premiers actes sont drôles, voire très drôles (je les ai tous lus à haute voix), le personnage de Dorine est admirablement réussi et, surtout, Molière fait preuve d'une habileté dans la versification qui me renverse. C'est d'une fluidité, d'une sonorité, d'un naturel, même, que je n'ai jamais trouvé ailleurs en langue française. Et si j'éprouve de la déception à sa lecture, j'en éprouve aussi bien du plaisir.

Créée

le 26 oct. 2017

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