J'ai la chance d'être quelques mois sans avoir de cours ni d'examen à préparer aussi en ai-je profité pour m'inscrire dans un jury inter-CE pour récompenser un auteur édité par une petite maison d'édition. C'est l'occasion de découvrir des auteurs que je n'aurais jamais pensé à lire. Les dix ouvrages de cette année me tentent énormément alors autant ne pas bouder mon plaisir.
Le premier de ces romans est « Le testament caché » de Sebastian Barry a déjà été plusieurs fois récompensé dans son pays d'origine, à savoir l'Irlande. Il est surprenant de découvrir que c'est la petite maison d'édition Joelle Losfeld qui a eu les droits et s'est chargée de la traduction. Moi qui pensais que les grandes maisons planaient au dessus de l'édition prêtent à fondre sur tous les romans un tant soit peu primés. Une nouvelle découverte pour moi qui relance l'intérêt de ne pas se focaliser sur les grands noms de l'édition pour aborder de petits bijoux littéraires.
Dans « Le testament caché » l'auteur nous propose un roman à deux voix. La première est celle du témoignage de Roseanne McNulty. Cette centenaire vit depuis 30 ans déjà dans cette institution psychiatrique de Roscommon. Elle y écrit sa biographie en cachette de ses soignants et des autres patients avec qui elle n'a que peu d'échange vu son grand âge. C'est son testament, son témoignage sur sa vie qui se confond avec l'histoire de l'Irlande du XXème siècle. Surprenant à bien des égards, cette écriture oscille entre drame et humour, tout en faisant ressortir de temps à autre ce grain de folie qui fait la différence de Roseanne.
L'autre voix de ce roman est celle des carnets du docteur Grene qui a la charge de cette institution dont les murs ne sont plus conformes aux normes sanitaires actuelles. Aussi un nouveau bâtiment se construit, mais se pose au docteur Grene la question de savoir si tous ses patients ont bien leur place dans un environnement psychiatrique. Le cas de Roseanne l'intéresse non seulement car elle est sa plus ancienne patiente mais parce qu'il ne dispose que de peu d'éléments sur les raisons de son internement. Docteur certes mais homme également avec ses doutes et ses douleurs, Grene est un homme proche de la retraite qui lui aussi a fait de ce lieu un repère essentiel dans sa vie. Pour se détacher de cela il creuse l'histoire de Roseanne et récolte avec difficulté quelques bribes auprès d'elle.
Mais les choses ne sont jamais simples. Ainsi le docteur Grene dispose d'une autre histoire de Roseanne que celle qu'elle rédige en secret. Certes, on y retrouve des personnages, certains dans d'autres rôles ou temps. Et c'est une fabuleuse plongée dans la folie qui transforme les choses, les rendant pires ou meilleures pour rendre les souvenirs supportables et donc la vie tolérable. Reste l'image du très catholique père Gaunt qui rendit la vie de la presbytérienne Roseanne tellement différente de ce qu'elle aurait pu être.
Une vision au travers du miroir déformant de la folie, une vie dans une Irlande méconnue de nous autres, continentaux. Les personnages sont attachants et peu importe la vérité sur leur passé car chaque vie est un roman superbement conté par Sebastian Barry. Une belle découverte, un roman comme je n'en ai pas lu depuis bien longtemps. Emouvant, authentique, avec une fin aussi éblouissante qu'inattendue. Remarquable.
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