Le Tour d'écrou
7.1
Le Tour d'écrou

livre de Henry James (1898)

Il y a des livres que l'on aime énormément mais sur lesquels on n'a pas envie de s'étendre. Et il y a des livres que l'on n'apprécie pas plus que ça mais qui donnent envie d'écrire dessus. Pour essayer de comprendre.

Le Tour d'écrou commence par une situation d'exposition raffinée, héritée du romantisme : un narrateur au coin du feu se fait presser par ses hôtes de raconter une histoire sur une apparition de fantôme arrivée à un enfant. La séance est remise au lendemain car l'histoire est consignée par un manuscrit de la gouvernante des enfants en question. Le reste du livre est le récit de la gouvernante.

La gouvernante, dont on ne connaît pas le nom, est une fille de pasteur assez naïve qui arrive à Londres. L'oncle de deux enfants, la petite Flora (5-6 ans) et Miles (dix ans), cherche une gouvernante pour faire leur instruction à Bly, domaine rural, pendant la période des vacances. Une seule condition : ne le déranger sous aucun prétexte (On sent ici la structure du conte).

La jeune femme fait la connaissance de Flora, puis de Miles. Celui-ci revient en réalité après avoir été expulsé de son école, alors que c'est un ange, comme sa soeur. La gouvernante est dans une situation en porte-à-faux : toute-puissante, elle est inquiète de la nouvelle de la mort de l'éducatrice antérieure, Mrs Jessel, et n'ose demader la raison du renvoi de Miles. Surtout, un soir, elle voit à travers une fenêtre un homme cherchant des yeux le jeune Miles. En sortant, elle ne voit rien, il a disparu. La bonne, arrivant après elle, est surprise de son air angoissé. D'après la description physique de l'homme, on dirait l'ancien majordome, Quint, un être brutal qui aurait été l'amant de Mrs Jessel. Plus tard, accompagnant Flora au bord d'une pièce d'eau, l'héroïne voit une apparition sinistre de Mrs Jessel, et a l'impression que Flora tourne ostensiblement le dos à cette figure sombre.

A partir de là, la gouvernante va sombrer peu à peu dans une psychose, car elle est persuadée que les enfants voient les deux fantômes et conversent avec eux, mais n'étant pas sûre d'elle-même, elle a peur d'aborder le sujet. Son attitude étrange la rend peu à peu odieuse aux enfants, qui lui jouent des tours : ont-ils planifié de rendre leur gouvernante folle, ou tout est-il dans la tête de la jeune femme ? La conversation la plus polie cache des abîmes de haine et de cruauté. La dernière scène, qui semble avoir conjuré la menace, ne lève pas l'incertitude.

C'est un exercice scénaristique à la construction impeccable, mais le style de James, assez lourd et feutré, me rebute quelque peu. Ses notations psychologiques sont d'une finesse sans pareille, mais si l'on compare avec le Goethe des "Affinités électives", quelle différence ! Là où Goethe va directement droit au but, avec sa langue pure de savant des Lumières, James utilise une langue XIXe à la fois très clinique et très engoncée. Peut-être la traduction française n'était-elle pas à la hauteur (en dépit de ce que dit la 4e de couverture, j'ai quelques doutes quant aux choix opérés).

Le style est très visuel, mais pas visuel comme chez un Balzac, où l'on imagine des gravures. Plus qu'une vue d'ensemble, on a l'impression d'un découpage serré par plans, assez cinématographique, ou même "manga" (oui j'ose).

Reste le caractère énigmatique du titre ce "tour d'écrou". L'expression apparaît deux fois, au début et à la fin du récit. Entre les deux, chaque chapitre voit l'imagination de la narratrice resserrer un peu plus l'écrou des faits pour les faire coller à sa théorie.

"Le tour d'écrou" est du pain bénit pour les théoriciens de genre littéraire. C'est un parfait exemple de littérature fantastique, genre qui oscille entre le merveilleux et le réalisme sans choisir. Mais comparez avec les nouvelles d'un Barbey d'Aurévilly et vous saurez de quel côté se situe le plaisir de la narration. Il y a aussi des allusions aux gothic novels, avec le manoir aux hautes tours, les couloirs dans lesquels on déambule de nuit, une bougie à la main, les portes auxquelles on écoute...

En dépit de ce côté très travaillé, je peine à définir cette oeuvre comme un "classique". J'ai au contraire trouvé ce roman très baroque, très expérimental.
zardoz6704
7
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le 29 sept. 2013

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zardoz6704

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