Le premier tome du cycle des contrées nous avait emmené du pays où les statues prenaient vie aux limites de Terrèbre. Ce deuxième prend place au cœur de l'empire dans la capitale et s'y tiendra quasiment tout le long.


Le récit débute de façon assez similaire : un homme sans passé, amnésique, arrive dans la cité, mais contrairement au narrateur des Jardins Statuaires, Barthélémy Lécriveur renonce à son objectif initial d'embarquer et trouve un emploi de gardien d'entrepôt. Entrepôt qui se révèle être un temple édifié en des temps immémoriaux et dont la disposition ne cessera d'intriguer son gardien...


Voilà un résumé qui ne paie pas de mine et qui n'enthousiasme pas outre mesure à première vue mais c'est sans compter sur le talent d'Abeille... Encore une fois bien malin celui qui arriverait à le classer dans une case bien précise. Il y a sans doute du surréalisme dans les descriptions échevelées de l'église ou du temple, d'un style à tomber; de l'onirisme, le personnage principal étant hanté par son passé; du décadentisme... voir la description d'un lendemain de fête et d'orgie observée par un grand fonctionnaire de la cité. En un sens, la partie politique préfigure peut-être même la fantasy "à capuche" consistant en intrigues de palais et bandits mêlés aux affaires de princes et de rois.
De même, si on a lu le tome précédent ou qu'on est un peu familier des univers de François Schuiten (illustrateur de la couverture), on ne sera sans doute pas surpris du rôle tenu par les femmes, qui font figure de muses du personnage principal tout en étant dans une relation d'égal à égal.
Mais l'aspect qui me semble le plus ressortir est peut-être le Mystère, thème romantique ou pascalien s'il en est. Les personnages scrutent l'invisible, sont sans cesse à la recherche de signes, le terme revient d'ailleurs trop souvent pour être innocent. C'est toujours délicat de faire tenir un scénario sur des mystères, une résolution trop rationnelle enlevant tout le piquant, mais là force est de constater qu'Abeille le réussit magistralement dans une conclusion résolvant entièrement l'intrigue sans pour autant lever tous les mystères.


Dernier point, ce n'est pas une réserve en ce qui me concerne, mais il faut sans doute émettre un avertissement sur le style : autant celui des Jardins Statuaires était relativement simple, autant ici il se fait autrement plus tortueux. Abeille semble s'être lâché pour ce tome et avoir délaissé le phrasé court et ramassé qui constituait l'essentiel de sa manière, et il faut bien le dire, les inversions sujet-verbes et autres phrases longues rendent ce tome moins facile à lire.
En clair, c'est tout sauf un tourne page! même si j'avoue m'être lancé avec avidité dans les cinquante dernières pages, faisant fi de la langue difficultueuse... Et au-delà de ça, on peut douter que tout le monde goûte cette langue, aussi belle soit-elle. Sans doute laissera-t-elle une partie de son lectorat sur le bord du chemin.
Néanmoins, malgré ce petit avertissement, le Veilleur semble marquer une autre étape. Malgré sa lenteur, il se révèle bien plus riche que le premier tome. L'aspect politique notamment, s'il prend moins de place que le reste (mais qui n'en est pas moins remarquablement greffé à l'intrigue principale), est d'une acuité saisissante et ne peut qu'interpeller dans nos sociétés placé sous le signe du tout-sécuritaire.

Silentum
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le 10 févr. 2018

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Florent

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