Le striatum, où quand notre meilleur ami devient notre meilleur ennemi

Le Bug humain propose une approche originale de la catastrophe écologique qui se profile, à travers le prisme des neurosciences. Sébastien Bohler ne s'intéresse pas tant aux faits alarmants ou à leurs conséquences désastreuses sur les écosystèmes. Ce docteur en neurobiologie moléculaire (ça ne rigole pas !) préfère se focaliser sur les origines de l'irresponsabilité de l'être humain et des choix aberrants qu'il fait en matière de préservation de l'environnement. La majorité des gens reconnaît aujourd'hui l'existence du réchauffement climatique, du phénomène de raréfaction des ressources ou d’acidification des océans. Tout le monde sait que notre modèle socio-économique, fondé sur une croissance incontrôlée et sur un modèle de surconsommation, n'est pas viable. Nous allons vers une succession de catastrophes annoncées, mais en dépit de cela, personne -ou presque- ne réagit. Les hommes politiques continuent à favoriser une croissance économique incontrôlée et ne prennent aucune mesure visant à réduire significativement les émissions carbones. Au niveau individuel, beaucoup de gens sont pétris de bons sentiments, mais très rares sont ceux qui font de véritables efforts pour limiter leur impact sur la planète. D'où vient ce hiatus criminel entre notre prise de conscience d'un danger et nos actes inconséquents : du striatum, nous explique l'auteur.


Derrière ce nom un peu barbare, se cache une des parties les plus anciennes de notre cerveau. Bien antérieur au développement du cortex cérébral (partie externe du cerveau, particulièrement développée chez l'homme et qui est à l'origine de fonctions avancées comme la conscience, du raisonnement ou encore de la mémoire), le striatum est une sorte d'organe de survie. Ses objectifs principaux sont de nous inciter à consommer un maximum de nourriture, à multiplier les relations sexuelles, à dominer les autres individus et à collecter un maximum d'informations, le tout en produisant un minimum d'efforts. Pour nous inciter à remplir ces tâches primaires, le striatum nous récompense par des décharges de dopamine, ce fameux neurotransmetteur qui procure un état de bien-être et fonde tout le système de récompenser des animaux, homme inclus. Sans capacité à anticiper à long-terme et sans aucune capacité de modération, le striatum nous incite à vouloir toujours plus de nourriture, de sexe, de statut social et d'informations. Son but ultime : maximiser nos chances de survie et de perpétuer l'espèce.


Si l'on comprend bien son utilité à l'état sauvage, il s'avère que dans nos civilisations contemporaines, le striatum est en train de devenir un véritable danger pour la survie de notre espèce. Le degré d'avancement technologique de nos société n'a pas calmé nos instincts primaires et il semblerait même que le striatum ait canalisé une grande partie de l'intelligence humaine pour la mettre à son service : toujours plus de satisfaction pour un effort toujours moindre. Les applications de rencontre et la pornographie en ligne satisfont nos besoins en matière de sexe. Les fast-food et la nourriture industrielle satisfont nos besoins en matière d'alimentation. Les chaînes d'information en continu et les réseaux sociaux satisfont nos besoins en matière d'informations. Les voitures de luxe, gadgets technologiques et vêtements derniers cris satisfont nos besoins de domination sociale. Mais tout cela à un prix : l'épuisement des ressources minières, la pollution atmosphérique, l'explosion des émissions carbones, etc. Sans compter les conséquences sur les individus : obésité, isolement social, addictions et dépendances en tous genres, compétition généralisée et encouragée de tous contre tous...


De nombreuses expériences scientifiques démontrent que, contrairement au cortex cérébral, le striatum n'a aucune capacité de projection temporelle : il voit à (très) court-terme. Il préfère avoir un marshmallow maintenant, que deux marshmallows dans trois minutes (célèbre expérience réalisée avec des enfants). Le seul espoir viendrait de l'éducation. On observe par exemple une tendance au partage, à la prévenance et à la projection temporelle plus importante chez les femmes que chez les hommes. Sébastien Bohler prend à ce propos l'exemple édifiant de Mère Teresa. La célèbre religieuse est dotée d'un striatum à l'image de n'importe quel autre être humaine (en être totalement privé nous transformerait en légume incapable d'initiative, comme cela arrive après certains accidents). Alors comment expliquer qu'elle ait consacré sa vie à aider les plus démunis, plutôt que de monter au sein d'une hiérarchie et de vouloir s'acheter bijoux et grosses cylindrées ?


La différence de comportement trouve son origine dans l'éducation : les associations action/récompense/plaisir se forment principalement pendant l'enfance (et dans une moindre mesure tout au long de la vie) et c'est à ce moment-là qu'il est important d'orienter leur circuit de la récompense vers des actions constructives. Congratuler les enfants quand ils sont gentils avec leurs camarades, quand ils partagent, quand ils savent s'arrêter au bon moment ou quand ils aident les autres, leur permet de se sentir valorisé socialement grâce à de bonnes actions. Cette éducation est déjà la tendance chez les jeunes-filles, mais il serait de bon ton, nous dit l'auteur, de l'étendre aux petits garçons (plutôt que de valoriser la force et la compétition comme c'est le cas actuellement). Ainsi, on pourrait espérer voir l'émergence d'une génération plus altruiste, plus modérée et plus bienveillante.


Ainsi, Sébatien Bohler appelle de ses vœux une société où ne seraient pas mis en avant les footballeurs, les stars de la télé-réalité ou les chefs d'entreprise du CAC 40 aux dents longues, mais les chercheurs, artistes, intellectuels ou personnalités œuvrant en faveur de la solidarité et de la protection de l'environnement. Cela permettrait à tout à chacun de "tromper" son striatum. Puisque ce dernier nous incite toujours à vouloir améliorer notre statut social, autant lui faire comprendre que ce qui est valorisé socialement ça n'est pas d'écraser les autres ou d'avoir le téléphone dernier cri, mais d'être bienveillant et de se soucier de la planète.


Comme dernière piste vers plus de sobriété, plutôt surprenante, Sébastien Bohler insiste sur la nécessité de reprendre conscience de nos actions et de sortir de nos automatismes. Le striatum nous fait agir de manière compulsive. C'est pourquoi il faut le prendre de court et redonner les rênes au cortex, siège de la conscience. Se concentrer sur ce que l'on mange, porter attention à nos modes de consommation de manière générale, savoir se satisfaire de ce que l'on a et orienter notre attention sur les petits plaisirs du quotidien plutôt que sur notre envie de vouloir "toujours plus" que le voisin. Il incite à ce propos tout à chacun à s'essayer à la méditation en pleine conscience !


Ouvrage de vulgarisation scientifique original et efficace, Le Bug humain nous invite à attaquer la question environnementale à la source. En pointant du doigt le déphasage entre le fonctionnement de notre striatum et la puissance technologique de nos sociétés modernes, Sébastien Bohler remplit une mission importante. Il nous rappelle notre propre déterminisme génétique, nos faiblesses intrinsèques, mais aussi les outils dont nous disposons pour nous en sortir : la conscience, la volonté, la capacité de projection, la plasticité neuronale. Serons-nous en mesure de réagir à temps et d'orienter nos efforts vers une société de la modération, de l'altruisme et du long-terme ? Qui, du striatum ou du cortex cérébral, l'emportera ? L'avenir tranchera, mais nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

ZachJones
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le 3 févr. 2020

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Zachary Jones

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