Depuis qu’ils se sont installés dans une ancienne maison de vignerons à Saint-Julien, sous les ruines du château, et qu’ils travaillent sur place, Sandro et Céline continuent de communiquer comme avant, lorsqu’ils avaient chacun leur bureau à un bout de la ville, par le biais de messages écrits sur leurs ordinateurs … parce que l’écrit et le réel ne cessent de s’interpénétrer dans ce roman rusé qui dévoile la naissance d’un récit et sa métafiction.


Sandro est franco-italien et traducteur, amateur d’histoires et de choses anciennes, et il a tendance à s’échapper dans un entredeux, même au beau milieu d’une conversation, pour tisser une fiction intérieure qui entremêle rêves, récits, souvenirs et réalité, d’autant plus qu’il entreprend la traduction d’un roman évoquant les années de l’occupation, dont la scène de meurtre forme un point focal qui déborde sur son quotidien. Céline, qui exerce le métier de comptable, est plus solidement installée dans le réel.


Ils se sont liés avec un voisin plus âgé, Monsieur Leleu, dont la famille vit ici depuis des générations. Ce veuf un peu désœuvré connaît toute l’histoire de cette petite ville et de la maison de Céline et Sandro, et en particulier la vie mystérieuse d’Alberto, qui habitât cette maison avec sa sœur Maria-Pia et son frère Fernand. Monsieur Leleu eût autrefois l’occasion de lire le cahier d’Alberto, récit autobiographique de cet homme aux racines italiennes comme Sandro, maquisard à vingt ans et impliqué plus tard dans une affaire de meurtre, cahier resté introuvable depuis.


La maison et l’histoire d’Alberto, réelle ou rêvée, sont les éléments moteurs de la narration, auxquels viennent se mêler, éléments poreux, les événements de la vie et l’imaginaire de Sandro, ses traductions en cours, la présence de sa femme et de ses voisins, et les émotions, angoisses et souvenirs qui le traversent.


Placé sous le signe de l’incertitude et de la question obsédante de la légitimité, «Le cahier d’Alberto», paru en avril 2015 chez Quidam éditeur est un récit d’une force subtile, littéralement habité par tout ce qui traverse et construit une fiction.


«Mais le mot "proscrit" va bien au personnage tel que je l’imagine, oiseau de nuit volant vers les bois dès que les ont déserté les chasseurs. Le ciel nocturne, les caches, si discrètes qu’elles ne gardent pas trace d’une présence qui aura à peine foulé les herbes ou écrasé les feuilles mortes, les chemins parcourus sans bruit, les pierriers gravis sans que roule un caillou, le silence même à la maison, l’habitude d’être seul. L’histoire s’est arrêtée aussi radicalement qu’elle s’arrête pour un homme qui, comme on dit, "purge" une peine de prison. Sauf que la peine ne sera jamais purgée, que l’histoire s’est arrêtée pour toujours à ce moment de la vie d’Alberto où, au risque de se casser le cou, il s’est laissé glisser le long de la roche jusqu'à la courette au néflier et où Maria Pia a vu son visage noir de barbe et, lui a-t-il semblé extraordinairement amaigri, s’encadrer dans la fenêtre de la cuisine.»

MarianneL
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le 2 mars 2015

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