Le cœur en dehors. Cette expression, titre du roman, résume le conseil que donne M. Roland à Charly (page 234), conseil si sage qu’il est encore repris en en quatrième de couverture. « Tu sais, Charly, il faut aimer… Il faut aimer dans la vie, beaucoup. […] Il n’y a pas assez de cœur en dehors. » Et M. Roland de poursuivre sa dissertation sur le bonheur, la résistance, la résilience (mot qu’il n’emploie pas : on est en banlieue tout d même, il ne faut pas pousser !) bref un discours sur ce qui est juste et bon pour l’Homme et le gamin de 10 ans que Charly est toujours même s’il vient brutalement de passer à l’âge adulte en ce jour où sa mère est interceptée par les gendarmes.
Pour situer le récit, sans le plomber, sachez que sa mère élève seul son fils Charly qui lui croise, de temps à autre, son frère aîné sous l’emprise de la drogue. Les maigres moyens de subsistance de cette mère sans papier, elle les doit à ce bon M. Roland chez qui elle est femme d’ouvrage… au noir !
Face à cette situation, somme toute assez banale, Samuel Bencherit nous invente un personnage de pure fiction. Il n’a que dix ans, est autonome face à l’adversité de la Banlieue. Il se construit un monde où on ne lit que ce qu’on peut voler, où on tutoie Picasso dans les musés, on aime lire Rimbaud et voler ses bouquins à la bibliothèque et on se tracasse pour le destin de Gaspard Hauser, copain enfant sauvage dont on a discuté en revisitant Verlaine et l’œuvre de François Truffaut.

Pas sûr qu’on puisse trouver un tel enfant dans nos banlieues ? Dès lors, pourra-t-on croire à cette vie de cité ? Croire à ce Titi campé sur ses deux guibolles et ses certitudes d’enfant et qui s’en sert pour courir, échapper aux flics, aux commerçants qu’il déleste de quelques bénéfices chapardés à l’étalage ? Pourra-t-on se satisfaire de ce décor qui sert d’écrin à la mise en avant de l’insouciance anxieuse de l’enfant, de sa peur et du vide fanfaronnés par ces dix ans qui viennent de prendre un coup de vieux ? C’est aux lecteurs d’en décider.
Le phrasé, plutôt que l’écriture, écorche les règles minimales des convenances grammaticales de notre français. Mais il sonne juste dans le contexte. L’explosivité de Charly dans ce qu’il dit, ce qu’il pense, les sauts de puces qu’il pratique tous azimuts et les enchaînements illogiques de ses pensées trépidantes offrent de vrais feux d’artifices éphémères aux ressentis que le lecteur peut vivre. C’est parfois un peu chaotique, jamais déplaisant.
Samuel Bencherit est aussi auteur de théâtre. Il enferme ici, quasi en une unité de ton, de temps et d’espace, un personnage dont il veut souligner la fraîcheur, l’innocence et le besoin de tendresse. Si on accepte les codes du genre, on peut être conquis et passer un bon moment avec Charly. Si on se montre trop pointilleux sur la vraisemblance et l’âpreté de la vie dans les cités, on restera probablement sur sa faim. A chacun de choisir ce qu’il est apte à recevoir.

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le 29 nov. 2019

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