Le récit autobiographique de Rudolf Hoess a été écrit dans des conditions très particulières (détention, attente de son procès) qui l'amènent sur le terrain de l'autojustification et de la minimalisation de sa responsabilité. Cependant, même à cette aune, le commandant d'Auschwitz apparait comme ce qu'il est: un être abject ayant commis ou facilité les pires atrocités.


Il s'agit d'un des rares récits "de l'intérieur" de la Shoah, par un de ses acteurs importants, et rien que pour cela ce livre mérite d'être lu.


Certains passages interpellent et renforcent l'intérêt du livre:

- le récit des discussions entre l'auteur et Eichmann, présenté comme un fanatique sans aucuns scrupules

- les pitoyables tentatives de l'auteur affirmant que "lui aussi il a un coeur", quand il s'exprime sur les doutes qui l'auraient sans cesse poursuivis au sujet de la "nécessité" de suivre les ordres et de procéder à l'extermination des populations qui lui sont adressées pour "traitement spécial" (selon la terminologie nazie en vigueur)

- l'importance qu'il a accordé à paraître dur et inébranlable dans sa résolution auprès de ses subordonnés alors que selon lui il était tiraillé par les doutes (tout en annonçant dès le début du livre qu'il a été et reste un nazi convaincu)

- une illustration du schéma de défense classique auquel les nazis jugés ont recouru : "je n'ai fait que suivre les ordres", "à mon niveau j'ai tenté de faire en sorte que cela se passe le mieux possible", etc. Hoess va même jusqu'à affirmer que finalement l'essentiel du mal et des excès commis aux camps sont imputables au personnel SS et aux kapos, qu'il considère comme inutilement violents et pervers.

- le regard critique porté par Hoess sur les contradictions d'Himmler, réclamant sans cesse plus de main d'oeuvre forcée pour l'industrie de guerre, mais également la "liquidation" des populations juives d'Europe.



Bref, pas de quoi se remonter le moral mais une lecture nécessaire pour qui s'intéresse à la Shoah, à mettre en regard par exemple des récits de prisonniers (notamment ceux du Sonderkommando, à propos desquels Hoess écrit un passage qui repousse les limites de l'abject).

Enguerrant
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le 11 mars 2024

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