«Je me suis refugié dans l’église pour sauver ma peau, c’était le seul endroit où les fanatiques franquistes, les curritos, ne viendraient pas me chercher. Inutile de dire que je ne crois pas au dieu à la barbe camphrée et aux escarpins dorés qu’on voit sur les peintures, toute ma vie j’ai senti le bourbier dans lequel nous ont mis les forces du destin à la naissance, et les mystères sonores, tantôt lumineux, tantôt obscurs et muets, qui nous assiègent jour et nuit, toujours à l’affût.»

Avec "Le roi et la reine", "Le fugitif" est un autre huis clos onirique de Ramón Sender, ici donc en grande partie dans l’espace minuscule d’un clocher. Pendant la guerre d’Espagne, pour échapper aux fascistes qui lui reprochent sa trop grande liberté, le narrateur, Joaquín, grimpe dans le clocher de l’église de son village, en compagnie des cloches et surtout des trois poupées de bois du clocher, compagnes enfermées (comme lui) à l’intérieur de leur abri de bois du fait d’un mécanisme défaillant. Le narrateur dialogue avec lui-même et avec les trois marottes de bois, qui sont ses Parques et lui rappellent les passions de sa vie; réflexions sur la mort inéluctable, seule issue à cette vie privée de liberté, pensées tirées des livres trouvés dans la sacristie, évocations souvent misogynes de ses maîtresses frivoles et chimériques, inspirées par les trois poupées carolingiennes.

« Euphemia, tu me rappelles la belle Marcela, que j’ai tant aimée. Peu de différences. Comme elle, tu ne tiens pas en place – tu es impatiente de sortir avec ta faux – et tu as des lèvres appétissantes. Le plus grand contraste, c’est que certains jours une chauve-souris dort, suspendue à ton nez. »

Le narrateur sera découvert dans des circonstances étranges, et quittera son clocher, cachette dans le ciel symbolique de la mort. Le roman avance comme le déplacement d’un grand balancier qui se rapproche puis s’éloigne de l’indifférence face à l’amour et à la mort.

« Thanatos et Éros, la mort et l’amour, marchent de conserve depuis les lointaines origines de l’humanité, au moins dans les témoignages écrits : dans la poésie. Et chez les poupées. »

A propos de ses écrits, dont ce roman publié en 1972, Ramon Sender disait : « Mon propos relève plus de l’illumination que de la logique. J’essaye de suggérer des plans mystiques à partir desquels le lecteur puisse rêver. » Rêverie essentielle.
MarianneL
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le 20 févr. 2013

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