Le pélican
7.3
Le pélican

livre de August Strindberg (1907)

Le pélican



De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.



Chez Strindberg, le pélican c'est la mère, il parait que le pélican a la capacité de nourrir ses petits avec son sang, au détriment parfois de sa propre vie.


Bien sur c'est un mythe, démenti dans les bons manuels de zoologie. Il en subsiste un symbole, une sacralisation de la mère, nourricière, providence inconditionnelle.


Mais rien n'est sacré pour Strindberg, ou alors tout est sacré, et donc tout est symbole et doit être désacralisé. Et tout le sera, par le feu.


Car on pourrait croire que A.S procède à l'analyse méticuleuse et savante des tourments de l’âme humaine alors qu'il est un iconoclaste forcené et un destructeur anarchique.


"Je suis le destructeur, le démolisseur, l'incendiaire du monde, et quand le monde sera réduit en cendres, je me promènerai, affamé, parmi les décombres, joyeux de pouvoir dire : c'est moi qui ai fait cela, moi ; c'est moi qui ai écrit la dernière page de l'histoire du monde, vraiment la dernière."


Le duvet de la mère cache une Folcoche, le nid est un nœud de vipères et la réalité est un cauchemar duquel émergent un à un les membres de la famille, somnambules complaisants, dont le réveil sera fatal.


Peu à peu déplumé, le pélican se révèle un corbeau que ses enfants déclassent, du rang de mère au rang de servante. Car rien n'est sacré et tout est faux et qu'il faut tout détruire.


Les écrits de Srindberg, dont la mère était la servante de son père avant de l'épouser et de mourir prématurément, sont sans cesse emprunts de sa vie et portent stigmates de son combat et sa révolte contre une société dogmatique et conformiste qu’il exècre et qui le décrètera scandaleux.
C'est bien le moi de l'auteur qui fonde l’unité de sa prolifique production littéraire.


" Ce qu’il me faut, c’est absolument savoir. Et pour cela je vais faire sur ma vie une profonde, une discrète et scientifique enquête. Utilisant toutes les ressources de la nouvelle science psychologique, en mettant à profit la suggestion, la lecture de pensée, la torture mentale, je chercherai tout. "


Et ce n'est donc pas uniquement un subtil portrait au vitriol des travers petit-bourgeois, pas uniquement une autopsie à vif du tabernacle familial, que nous livre un écrivain du prolétariat à travers Le pélican. C'est peut-être également un autoportrait masochiste et autodestructeur dans lequel le cynisme de Strindberg exulte contre la providence : nous en sommes tous les victimes complaisantes, le jeu est toujours double, nous sommes somnambules et l'existence est une supercherie, le bonheur également. Car la mère, le sein, c'est la terre, le monde des damnés dont l'origine et la fin, ne sont qu'un rêve éveillé.


C'est surement pour cela, après des années passées à vivre éveillé parmi les somnambules que Strinberg a déclaré " Je veux devenir fou".



Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.



Musset

vvivien
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le 1 avr. 2016

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