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A l’âge de 64 ans, Miltiadis, linguiste d’origine grecque réputé à la Sorbonne, meurt de son diabète, d’une cirrhose et d’hypertension. Trois mots d’origine grecque, ne peut s’empêcher de constater la narratrice, la soeur du défunt. Elle se souvient alors de la remarque de Jean-Christophe, un ami de son frère : « Tous les français meurent d’une maladie grecque et sont conduits au cimetière, qui est un mot grec aussi ». Les voyages de pays en pays, Grèce, France, Lettonie, Argentine, Angleterre, seront nombreux pour la narratrice qui pourtant ne sort pas de Paris. Les voyages se font de mot en mot, à travers leur étymologie. Ils nous font traverser aussi les siècles et les millénaires de long en large jusqu’au plus lointain : l’époque du premier mot. C’est d’ailleurs le premier mot que recherche la narratrice pour rendre hommage à son frère qui a émit le désir de le connaître juste avant sa mort.


A travers cette recherche, c’est une formidable aventure que vivra le lecteur avec elle à travers sa mémoire, ses rencontres, ses rêves et l’écriture à laquelle elle se prête pour raconter ce récit. Tout est désordonné cependant : alors que le récit est toujours au même temps, les souvenirs vont et viennent et, alors que la réalité semble toujours présente, les morts apparaissent et parlent avec la narratrice. Et toujours au coeur de ces allers-retours, les mots : dans les discussions avec Miltiadis (qui semble toujours ramener la conversation à l’étymologie, la plupart du temps sans aucune logique : l’un de ses interlocuteurs utilise un mot puis il prend la parole pour nous raconter l’étymologie de ce mot, etc), dans les souvenirs de l’apprentissage du français, dans l’évolution de la langue grecque, dans les rencontres et les échanges qu’elle réalise présentement…


Cette confusion s’ordonne un peu quand l’on sait que la narratrice nous parle des évènements à travers un manuscrit qu’elle est en train d’écrire pour rendre compte de sa quête. Après avoir rendu compte de ses nouvelles découvertes, elle va parfois nous parler de l’écriture. Rien n’est caché : le moment où elle commence à avouer écrire ce texte, ses interrogations sur la taille et la logique de son texte… On finit par sourire devant ses lignes qui s’adressent presque directement à nous pour tourner en dérision le livre.


Alors que la narratrice comme la plupart de ses interlocuteurs sont des personnes qui ont dépassé la soixantaine, c’est tout de même une aventure que nous vivons. Il y a une énigme, celle du premier mot, des péripéties, les rencontres, l’écriture, les échanges, et même une solution, qui n’est bien sûr pas celle que l’on attendait. Nous nous perdons même quelquefois au coeur de cette jungle de mots, parfois si décousue, si illogique et si luxuriante. Les références et les exemples sont en effet très nombreux et pas toujours clairs, dans tous les cas apparemment pas vraiment reliés entre eux, mis à part peut-être par le premier mot, que l’on attend toujours.


Celui-ci reste en effet introuvable. On entend au côté de la narratrice toutes les théories possibles et inimaginables. Elles nous sont également expliquée : de qui elles viennent, pourquoi elles ont été énoncées, pourquoi elles ne sont pas justes. On dépasse l’indo-européen pour écouter les danois, les égyptiens ou les turcs affirmés leur langue comme la première. On comprend que ce premier mot est une affaire de politique, que peut-être lui-même est politique (et pour démontrer cela, écoutons Aristote), qu’il s’agit de se placer au-dessus des autres. Notions de philosophie et de linguistique se mêlent à la quête dans le plus grand désordre. Les questions restent une fois les préjugés dépassés. Le récit nous aide dans cette tâche : on apprend que les européens descendent des africains, que le premier mot a été revendiqué à droite et à gauche, que sûrement plusieurs premiers mots sont nés à peu près au même moment au quatre coins du monde, sûrement près d’un cours d’eau, le lieu de rencontres et donc d’échanges depuis la Préhistoire, que les raisons de sa création peuvent être multiples… Bref, ici, pas de revendications identitaires. Les langues se valent toutes, se mélangent aux autres pour s’enrichir et sont totalement transformées en 5 millénaires.


Une quête sans réponse, une aventure décousue de logique, des relations entre les mots incertaines, une narratrice totalement perdue dans son écriture… A part de la frustration, qu’es-ce-qui ressort d’un tel livre ? Peut-être un nouveau savoir, certes très partiel, mais qui nous invite à la découverte et à l’ouverture. Un livre qui ouvre à la réflexion et à l’apprentissage, mais qui peut-être manque de distraction. Le savoir semble souvent détaché du romanesque : dommage.

circonstancielle
4

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le 13 févr. 2021

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