Je suis une personne plutôt calme, voire monolithique quand on me met un bouquin dans les mains. Mais là, c'était presque un défi niveau olympique de ne pas me lever en plein milieu de la lecture en hurlant, balancer ce livre de l'autre côté de la salle et me barrer en renversant les étagères, non sans copieusement insulter tout le corps universitaire et les éditeurs. Oui, les monolithes des fois aussi en ont ras-le-bol.


Pourquoi donc si peu de patience ?
Ouvrant un essai universitaire, le lecteur est en droit d’attendre deux choses de la part de l’auteur et de la maison d’édition – deux petites choses, pas grand-chose : des idées (parce qu’un écrit universitaire, c’est pas une liste de course quand même, ça doit apporter quelque chose à l’intellect m’voyez), et un respect élémentaire du lecteur.
Deux choses qui font défaut à ce livre.


Il existe un certain nombre de conventions implicites nécessaires au confort de la lecture, qui participent du respect élémentaire que l’auteur et l’éditeur doivent porter au lecteur (qui est quand même l’acheteur, hein, faut pas l’oublier. D’ailleurs il a coûté combien ce – 25 EUROS ?! je suis bien contente de l’avoir emprunté tiens). Parmi ces conventions, la première est l’orthotypographie qui fait que je mets une majuscule en début de phrase et un point à la fin, que je mets un espace après ma virgule et que je ne découpe pas mes mots n’importe comment en fin de ligne, etc. Bref, tous ces trucs que les logiciels de traitement de texte font tous seuls, des conventions qui permettent que les gens n’aient pas à s’adapter à chaque texte, gagnent du temps et comprennent plus aisément le sens de la phrase.
parce quevousvoyez s’on fait, ni’mporte comment c’est. vite cas-sebonbons eton passe plusde temps à e ssayer de com-prendre qu’àcomprendre


Question de respect donc. C’est un travail d’ailleurs, relecteur. Donc quand je trouve des coquilles dans un livre, déjà moi ça m’agace : deux espaces entre les mots, l’absence d’accent sur les majuscules qui cause parfois une confusion entre deux mots, titres d’ouvrages pas en italique, etc. Il semble que la maison d’édition (L’Harmattan, quand même) n’ait pas jugé utile de faire appel à un relecteur, ce qui est bien dommage. Ça aurait aussi évité un nombre honteux de fautes de conjugaison (ode au « s » de 2ème personne disparu) et d’orthographe (tout un chapitre sur le « pêché » du marin : NON pas le marin pêché au fond d’un filet, le « péché » biblique, c’est pas le même mot, pas le même sens !).


La grammaire est la science des ânes. Mais les ânes en ont besoin pour se comprendre entre eux. Je suis la première à laisser passer des erreurs parce que tout le monde n’est pas calé en orthographe et, franchement, y’a des défauts pires dans la vie. Mais là on parle d’un auteur qui est professeur et écrit à l’attention d’étudiants de Littérature Moderne. Quand même quoi.


Face à la tournure de certaines – non, de toutes les phrases, tournure qui m’a valu une foulure du muscle sourcilier à force de me concentrer pour comprendre ce qu’elle écrivait, j’ai fini par me dire que si l’autrice avait autant de mal avec la langue c’était peut-être parce que le français n’est pas sa langue maternelle. Ça n’est PAS une excuse : un travail universitaire, ça se fait relire, par son chéri, ses collègues, son éditeur, son poisson rouge, n’importe qui, mais on ne peut pas publier quelque chose qui ressemble plus à un charabia susceptible de rendre confus le lecteur qu’à un essai. Les maladresses d’expression sont digne d’un gentil collégien qui essaie d’en faire trop, les changements de temps des verbes injustifiés dans une même phrase sont au mieux agaçants (au pire font croire qu’on a changé de dimension), les virgules sont placées avec un art particulièrement subtil de l’erreur (toujours là où on ne les attend pas, jamais là où elles devraient - on dirait une accroche pour un groupe de rap). C’est très, important une virgule pour, que, le lecteur adopte le bon, rythme de la phrase et la, comprenne. Je n’exagère pas, juré.


Enfin, et pour bien finir de me mettre de bonne humeur et me faire perdre une demi-journée, le contenu du livre. Le contenu. Le contenuuu (insérer ici voix tremolante, éclairs de la Hammer et regard injecté de sang). Non contente de paraphraser les citations qu’elle donne dans la ligne suivante (alors, oui, la paraphrase, c’est le truc qu’on apprend à ne pas faire aux élèves de lycée, parce que répéter ce qui est déjà dit dans la citation, ça ne sert à riiiiieeeeen), l’autrice déverse avec une naïveté confondante une série, une avalanche, une cataracte d’arguments que n’aurait pas renié ce cher Monsieur de La Palisse – quand ils ne sont pas faux. C’est surtout le passage « « « philosophique » » » qui m’a laissé sans voix, joyeux bordel, mélange bâtard de stoïcisme, de kierkegaardisme et d’existentialisme, saupoudré – et ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille – d’une bonne grosse couche de psychanalyse. Aaah, citer Jung et Gaston Bachelard dans un travail universitaire de Littérature, il n’y a rien de mieux pour me mettre en joie… Vous les entendez mes grincements de dents et le bois de mon bureau qui craque sous mes doigts crispés ?


Enfin, je tiens à rappeler qu’il existe des règles pour citer correctement un ouvrage dans une bibliographie et dans des notes en bas de pages. Quand on est « docteur en littérature comparée de l’université de La Sorbonne-Nouvelle, Paris III » (selon la 4ème de couverture), il serait temps de s’informer à ce sujet. Car, oui, le plus beau dans cette histoire, c’est quand même le titre de l’autrice. Je me suis égarée un temps dans une rêverie mi-figue mi-raisin en me demandant comment on pouvait écrire aussi mal, selon les idées, la logique de lecture et les règles de base, et en même temps avoir ce statut. Peut-être s’agit-il là de la Sorbonne du pauvre ? d’une erreur d’impression sur la 4ème (on aurait dû lire « La Borbonne-Nouvelle », celle de Saint-Jean-du-Micoulin, Meuse) ? d’un crime non résolu avec usurpation d’identité ?


Mais je deviens méchante. M’étant bien détendue avec la rédaction de cette méchante et mesquine petite critique, je vais pouvoir rendre l’ouvrage à la bibliothèque, l’oublier, y repenser dans quelques années au moment de mettre à jour ma bibliographie (non sans un rire sardonique), l’oublier derechef. Mais je retiendrai longtemps le fou-rire que j’ai dû retenir en pleine salle de travail, par un mercredi après-midi froid et menaçant de neige, lorsque (faute de frappe ? faute de compréhension ?), dans une note en bas de page, le personnage de « mess Lethierry » de Victor Hugo, dans Les Travailleurs de la mer, vieux loup de mer buriné, la pipe au bec, est devenu « miss Thierry », que j'ai immédiatement imaginé avec une robe rose bonbon et un nœud fuchsia dans les nattes. Succulent.

Kogepan
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le 29 nov. 2017

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