Tony Hillerman fait partie d’une espèce à protéger, les écrivains capables d’embarquer un lecteur dans un monde d’une richesse inconnue, tout en troussant une intrigue captivante. Comme son personnage central le lieutenant Joe Leaphorn, Hillerman est un de ces indiens d’Amérique qui vivent dans une Réserve en préservant à leur façon un art de vivre séculaire confronté à la civilisation occidentale moderne. Leaphorn est sur le point de prendre sa retraite de la police tribale Navajo. D’emblée, on réalise que ce sont deux mondes, deux civilisations qui cohabitent, puisque la Réserve est située sur le territoire Américain et donc sous la juridiction du F.B.I.


Leaphorn est alerté suite à la disparition du docteur Eleanor Friedman-Bernal, anthropologue s’intéressant aux traces laissées par les indiens Anasazis dont le lexique nous apprend que ce furent les premiers habitants d’Amérique du Nord. « Venus probablement par le détroit de Bering, ils se réfugient dans les habitations troglodytiques du plateau du Colorado et parviennent à vivre de la chasse et de la culture dans ce climat semi-aride. Puis, brusquement, ils disparaissent à la fin du treizième siècle. »


Ayant étudié des fragments de poteries (objets ayant pris de plus en plus de valeur), Eleanor Friedman-Bernal a identifié le style d’une véritable artiste, allant jusqu’à étudier son évolution technique et ses déplacements. C’est tellement passionnant qu’elle fait son possible pour s’approprier d’autres fragments détenus par des collectionneurs. Son souci est également d’obtenir l’autorisation de réaliser les fouilles aux endroits appropriés. Or, la procédure administrative est lente. Et la valeur des objets en question a attisé la convoitise de certains. Ces personnes sans scrupules sont les « voleurs de temps » du titre.


Friedman-Bernal a disparu alors qu’elle attendait la visite de Lehman son directeur de recherche pour un rendez-vous capital. D’autre part, le policier Jim Chee enquête sur les meurtres de deux hommes, apparemment des pilleurs de sites archéologiques qui ont « emprunté » un camion ainsi qu’un engin de type « pelle ».


Dans la Réserve, l’activité est telle qu’il est quasiment impossible qu’une personne fasse quelque chose sans que d’autres soient au courant. Ainsi, l’enquête de Joe Leaphorn progresse en interrogeant Maxie Davis et Randall Elliott qui sont des voisins et anthropologues comme Friedman-Bernal. Ils ont une bonne idée de l’avancement de ses recherches.


Leaphorn rencontre également le prédicateur Nakai qui affirme l’avoir vue un peu plus d’un mois avant sa disparition. « Elle m’a rapporté une poterie qu’elle m’avait achetée au printemps. Un morceau de poterie, en fait. Elle n’était pas entière. Et elle voulait savoir tout ce que je savais dessus. En partie des trucs que je lui avais déjà dits. Et elle les avait écrits dans son carnet ». Description remarquable au passage :


« Derrière Nakai, le crépuscule s’était obscurci, passant d’un cuivre pâle à un cuivre foncé. Sur ce fond éclatant, deux lignes de nuages étaient peintes, bleu-noir et déchiquetées. A gauche, une lune dans son troisième quartier était accrochée dans le ciel comme une pierre blanche sculptée. »


A Bluff, Leaphorn rencontre aussi Harrison Hook : « … éleveur de bovins, pilier de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, membre influent du parti républicain, objet de commérages en tous genres, représentant de la loi à l’intérieur du comté, responsable des permis de pacage délivrés par le service de l’exploitation des terres pour toute la zone sud de l’Utah s’étendant sur la région des canyons, personnage à l’habileté légendaire » Une très forte personnalité marquée par une tragédie familiale.


Le roman compte de nombreux autres personnages. Chacun a ses activités et sa personnalité. Les convoitises autour des objets d’art Anazasis induisent des comportements. La vie sentimentale des uns et des autres est compliquée par l’absence d’êtres chers et par des conflits intérieurs entre appartenance ethnique et aspirations sentimentales. Hillerman réussit à imbriquer tout cela de manière remarquable, tout en illustrant ce précepte :


« L’existence des Navajos dans tous ses aspects était consacrée à l’harmonie de la vie. Elle ne se représentait la mort que comme un terrifiant et sombre néant. »


Le lecteur se régale de l’ambiance générale permettant de s’immerger dans l’atmosphère de la Réserve Navajo. De plus, l’enquête policière est de qualité, avec des rebondissements inattendus et un final haletant. Amateurs de littérature policière, Tony Hillerman n’est pas un voleur de votre temps !


A signaler que, comme dans chacun de ses romans, Tony Hillerman présente au tout début une carte topographique de la région où l’action se situe, ainsi qu’un lexique d’une douzaine de pages à la fin. Je conseille de s’imprégner des deux avant de commencer la lecture. En effet, de nombreuses notes renvoient à des indications très instructives sur le mode de vie Navajo ainsi que sur les différentes croyances et traditions indiennes C’est passionnant mais ça peut aussi hacher un peu la narration.

Electron
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le 23 juil. 2014

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