I remember... when we were young...

Vint le moment redouté de choisir un livre dans la pile... la petite libraire jeunesse que je suis, éprise de romances adolescentes, d'albums de princesses et de grands classiques, doit choisir parmi une sélection de romans adultes (!) contemporains (!!!) pour pouvoir donner un avis quand viendra le moment de décerner un prix de rentrée littéraire à l'un desdits romans. C'est la plaie, je ne vous le cache pas. Je prends Les amygdales presque par hasard. Je lis la quatrième en diagonale, après ma journée de boulot, dix secondes avant de m'en aller, et je pense mollement que ça a l'air moins chiant que le reste.
Première déconvenue après un deuxième coup d'oeil, dans la notice biographique je lis que l'auteur a fait des études de philosophie. Je grince des dents, inévitablement. Des années après mes propres études de philo, je pense toujours à mes (souvent) méprisants petits camarades, persuadés d'être les maîtres du monde. Je n'ai pas commencé à lire que je tremble déjà à l'idée d'un style pédant et d'une vision du monde erronée par un ego surdimensionné. Seconde déconvenue, une de mes collègues jurée du fameux prix de rentrée a déjà fourni une critique concise et sans équivoque : "souvenirs d'enfance : aucun intérêt", ça fait rêver, hein ? Mais au moins, maintenant que je m'attends au pire, je n'ai plus rien à perdre.


Je suis immédiatement surprise par le style... particulier. Je ne sais pas vraiment comme le décrire. Cela vient peut-être de la manière dont il nomme ses proche, "le papa", "la maman", qui donne une impression de dédain, et qui confirme une de mes craintes. Et en même temps, on comprend vite que ce n'est pas uniquement une fantaisie de l'auteur, mais que cela correspond tout à fait au mode de vie de cette famille dans laquelle évolue le personnage principal.
On rencontre une famille que je qualifierais presque d'aristocrates. Ils méprisent d'ailleurs le monde paysan, ont des domestiques, vivent quasiment dans un autre monde, voire dans une époque révolue. "La maman" n'est pas sans rappeler Marie-Antoinette, j'y ai pensé au moment où elle fait son jardin. J'ai tout de suite vu un parallèle avec la reine de France et son petit Trianon. L'une et l'autre ont le désir de se rapprocher de la nature, de la simplicité, mais "la maman" a quand même besoin qu'un vrai jardinier s'occupe des plantes parce qu'elle en est parfaitement incapable. Nous sommes dans un univers de faux-semblants sous le couvert de la bienséance et du politiquement correct.
Et au milieu de tout ça, il y a un enfant, le personnage principal de cette histoire, que je n'ai pourtant pas envie d'appeler héros, parce qu'il est loin d'en être un sans doute. On est bien face à des souvenirs d'enfance, et c'est le regard d'un enfant qui nous les décrit, mais ce sont des mots d'adulte qui jaillissent sur la papier. Je pense que je ne décris pas bien l'impression que j'ai eue en lisant ce roman, mais ce n'est pas évident à retranscrire. On n'est pas non plus dans une analyse des sentiments de l'enfant par l'adulte. C'est plutôt comme si l'histoire était racontée par un adulte enfermé dans le corps d'un enfant. C'est un enfant, mais il a déjà perdu la candeur, l'innocence de l'enfance.
Le contraste est d'autant plus impressionnant que dans cette famille où règne l'hypocrisie la plus totale, notre personnage est d'une honnêteté, d'une franchise incroyable, même (et surtout) lorsqu'il s'agit de ses sentiments les moins nobles. Ce n'est pas exactement un personnage aimable. Il ment constamment (mais c'est plutôt amusant : quand il ment pour ne pas jouer au football et que le curé regarde son pied en concédant que c'est un peu enflé, le narrateur nous assène un "Première nouvelle !" absolument hilarant). Il est habité par des émotions assez violentes, notamment la haine. Il n'éprouve aucun remord, et son indifférence (en est-ce vraiment ?) est parfois troublante, dérangeante.


Mais le meilleur, ce sont les moments de pure invention. Le personnage est un solitaire. Ses frères aînés sont comme des jumeaux et le rejettent, il déteste sa petite soeur "au prénom à la noix", n'a pas vraiment d'amis, et le seul qu'il ait eu est mort d'un cancer. Il n'a d'autre repli que son imagination foisonnante. C'est ainsi qu'il nous entraîne dans ses délires. Il réinvente l'Histoire, joue tous les personnages, vit des aventures absurdes, passe d'un camp à l'autre, de Marie-Antoinette (encore elle !) sur l'échafaud, qu'il idolâtre presque pour ensuite la haïr, au naufrage du Titanic (c'est encore mieux que le film je vous jure), en passant par une guerre imaginaire où il est à la fois le blessé et le chirurgien qui le charcute : c'est comme si on y était !

marquise
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le 20 juil. 2015

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