Pendant toute une nuit, la paisible bourgade de Midwich se trouve coupée du monde par un champ de force invisible. Tout ce qui y respire perd conscience et le lendemain, comme si rien ne s'était passé, Midwich retrouve son calme... Jusqu'au jour où toutes les femmes du village, même les jeunes filles, découvrent qu'elles sont enceintes. Neuf mois plus tard, elles donnent naissance à trente garçons et trente filles aux yeux dorés. Qui sont-ils exactement ? Représentent-ils un danger ?...


S'il fut un écrivain britannique peu prolifique en regard de nombre de ses collègue dans la science-fiction, John Wyndham a toutefois suffisamment marqué de son empreinte le genre pour entrer au rang des écrivains cultes dont les oeuvres sont adaptés en film quand elles ne jouissent pas d'un certain prestige. On lui doit par exemple le Jour des Triffides en 1951 qui fut ensuite adapté en film en 1962 par Steve Sekely puis en une série de la BBC en 1982. On lui doit également Les coucous de Midwich (1957) qui connut deux adaptations cinématographiques sous le titre du Village des damnés, d'abord avec Wolf Rilla à la réalisation en 1960, puis avec John Carpenter en 1995.


Dans le cadre de cette nouvelle petite chronique littéraire, c'est de celui-ci que nous allons parler en faisant un petit détour par le film de John Carpenter, moins ancien, plus moderne et orienté action, qui me donna bien évidemment envie plus tard de lire le livre originel. Et grand bien m'en prit car au final, il forme une sorte de complément à ce que l'on voit sur l'écran, y apporte un nouvel éclairage et s'avère en tous points fascinants. Même en prenant son temps dans un style qui n'échappe pas à des considérations métaphysiques à défaut d'être purement scientifiques (comme pouvait l'être Le nuage noir de Fred Hoyle écrit à cette même époque - 1957), l'auteur, en véritable conteur, nous happe complètement dans le mystère de ces êtres qui se révèlent inhumains.


Si j'évoque le film de Carpenter, c'est pour m'écarter volontairement de l'adaptation qu'en fit Rilla et qui est assez proche du roman de Wyndham dans un contexte d'Angleterre très fortement corsetée dans les moeurs, et que, sur ce point, le film de Carpenter est en soi le parfait révélateur de notre société actuelle comme a pu l'être le livre de Wyndham en son temps. Un point essentiel nous saute d'ailleurs à la tronche et qui est ici totalement absent du livre : le spectre hiddeux, que dis-je, horrible ! (irony inside) de l'avortement. Jamais un seul instant l'avortement médical n'est évoqué. Pas même par le médecin et ses assistantes qui aident aux naissances. Outre que l'écrivain est un homme de son temps, je pense tout bonnement que pas un seul instant cela ne lui soit passé par l'esprit justement pour ça (et je ne pense pas non plus qu'il ait eu l'idée de demander à un tiers, notamment féminin dans son entourage pour des relectures).


Cela dit on peut évoquer aussi le fait de ne pas choquer pour ne pas s'attirer les foudres de quelconques conservateurs de tous poils (En Angleterre, l'avortement est maintenant légal mais surtout s'il y a eu viol ou risque de santé pour la mère voire problèmes de déficiences mentales et physiques à venir pour le bébé que cela est possible. Mais il faut pour attendre 1967 pour que l'acte volontaire d'interruption de grossesse soit officiellement légalisé dans la perfide Albion). Ce dont fut justement victime le film de Rilla à sa sortie : apparemment, montrer des enfants nés ni d'un papa ni d'une maman, ça défrisait les religieux. Tout rapport avec l'actualité récente où il y a des couples où il y a ni papa ou bien ni maman n'est que purement fortuite en cette période de régression. Ah merde je l'ai dit. :D


Or chez Carpenter, ce genre de "détail" (notez les guillemets, ça a son importance) est introduit plus subtilement quand Big John fait venir le personnage de l'assistante sociale à la solde du gouvernement (le docteur Susan Verner joué par Kirstie Alley) et que cette dernière propose aux mères enceintes une opération pour leur enlever leur bébé, gratuitement. Mais que d'un autre côté, pour celles qui désirent le garder, il y aura une prime offerte et de l'aide de l'état. Evidemment, toutes veulent le garder du coup. Comme dit une certaine chanteuse, c'est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup (et non je ne jouerais pas du piano debout, non mais).


L'époque est heureusement beaucoup plus libre pour que Carpenter puisse, comme c'est d'ailleurs le cas à chacun de ses films à un degré plus (Invasion Los Angeles, en V.O : They live) ou moins repérable, critiquer la société ou ses composantes. Cela dit, n'en doutez pas, le livre réserve son lot de passages forts au fur et à mesure qu'on s'achemine vers la fin. Autre point important, la conception de ces enfants qui rend des mères honteuses et des époux jaloux et fort en colère (on les comprends, c'est un peu du cocufiage extra-terrestre en masse quand on y réfléchit). Chez Carpenter ça crève l'écran, au point d'occasionner des dégâts. Chez Wyndham, c'est laissé un peu en fond, pour mieux refluer comme une colère latente qui lentement couve et c'est paradoxalement ce qui fait le charme du livre.


Un autre point négatif qui fait mal avant de passer aux nombreuses qualités de l'oeuvre (car il en a, oui, oui, les adaptations en film ne sont pas innocentes au vu de son formidable potentiel), c'est l'aspect assez misogyne du livre face aux femmes. Ici, la femme est traitée comme un pauvre être mystérieux qui, si elle ne laisse pas parler son mari, fait un peu tâche, réduite un peu à un rôle de tapisserie. On tombe carrément de sa chaise là. Oui, j'avais évoqué un aspect daté (et probablement pas innocent du coup vis à vis de l'auteur quand on y réfléchit), on est en plein dedans et on en arrive très vite à se demander si les suffragettes ne pourraient pas débarquer dans cette si paisible campagne anglaise. Mais bon, on est plus au début du XXème siècle, c'est déjà 1957, que diable. Qu'il n'y ait pas de jeune fille scientifique dans tout ça mouais....ok c'est la campagne reculée... mais que ce soient les personnages masculins qui formulent toutes les hypothèses et plans pour contrecarrer la menace au détriment de l'avis des rares personnages féminins, là c'est le bonbon. On m'objectera que tout le récit passe par le prisme de son narrateur (lui-même sorte d'alter-égo de Wyndham) et qu'il y a donc une sorte de détachement à observer mais quand même.


(...) ...Elle ne croit pas aux dinosaures, en fait, elle ne croit pas que le monde ait pu exister avant qu'elle y soit. Les hommes peuvent bâtir et démolir et s'amuser avec leurs jouets, ce sont des personnages ennuyeux, des passe-temps éphémères, de simples vagabonds, alors que la femme, en contact mystique et ombilical avec l'arbre de vie lui-même, sait qu'elle est indispensable. C'est à se demander si la femelle du dinosaure était en son temps douée de la même certitude confortable.


Il s'arrêta, attendant visiblement une réplique.


_ En quoi cela regarde-t-il ce qui nous préoccupe à présent ?


_ En ce que l'homme trouve l'idée de son éternelle suprématie absurde. Quand à elle, cette notion lui est indispensable. Et, comme elle ne saurait penser autrement, toute hypohèse contraire lui paraît ridicule. (...)


Hmm.


Mouais.


Le contact mystique qui fait jaillir sang et douleur chaque mois, une certitude confortable, ha-hun. Et les bébés, ils jaillissent comme ça en faisant un petit plop, comme un petit pet tranquillou qui sent l'encens et l'orange aussi pendant qu'on y est ? Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu ?


Bon, avouons que ces phrases sortent de leur contexte et ne restituent que peu les échanges sociologiques mais permettent de donner une idée de ce que sera une bonne partie du roman : une suite d'interrogations constantes sur la nature des enfants avec parfois quelques petits moments inquiétants.


Et ça marche, ça passionne complètement. Parce que Wyndham a établi suffisamment de données en laissant volontairement des points obscurs pour plus tard pour nous captiver largement. Là est la complémentarité avec une version filmique qui ne peut décemment pas tout livrer, au risque de perdre et rythme, et spectateur et c'est tant mieux.


Ainsi on aura plus de détails sur le Comment c'est arrivé ? que ne pouvait avoir l'un et l'autre film, évidemment. Le livre a aussi le mérite de se séparer en deux grandes parties, avec toutefois plus d'attention dans la première à ce qui arrive avant, pendant et juste après la grossesse (alors que le film de Carpenter se focalise plus sur les enfants déjà âgés de 8,9 ans). Les détails sur la bourgade et comment les gens vivent cette invasion pernicieuse (très mal, au cas où vous vous poseriez la question) sont aussi relatés avec une certaine richesse. Car c'est bien évidemment une invasion, mais traitée sur un mode plus délicat qu'une invasion de tripodes.


Tripodes d'ailleurs cités délicieusement en plaisanterie dans le roman :


"Prenez d'ailleurs les martiens de H.G.Wells. En tant que premiers inventeurs du rayon de la mort, ils étaient formidables, mais leur comportement était tout ce qu'il y a de plus conventionnel : ils ont simplement mené une campagne normale avec cette arme qui surclassait tout ce qu'on pouvait lui opposer. Mais au moins pouvions-nous essayer de nous défendre, alors que dans notre cas actuel..."


(...)
Eh bien, vous avez là le prototype d'innombrables invasions. Une super armée contre laquelle l'homme lutte vaillamment avec sa pauvre armure, jusqu'à ce qu'il soit sauvé par un miracle qui peut prendre des formes nombreuses. Naturellement en Amérique, tout est plus grand et plus beau. Quelque chose atterrit et quelque chose en sort. Dans les dix minutes qui suivent, sans doute grâce aux excellentes communications de ce pays, la panique s'étend du Pacifique à l'Atlantique, et toutes les autostrates interurbaines sont embouteillées, et tous les chemins grouillent d'une populace en fuite, sauf à Washington. Là, par contre, et par contraste, une foule immense s'étendant jusqu'à l'horizon et plus loin, reste grave et silencieuse, les yeux tournés vers la Maison Blanche, pendant que quelque part dans les Catskills un professeur, jusque-là ignoré, avec sa fille et son assistant, un beau jeune homme musclé, s'agitent comme des forcenés pour assister à la naissance d'un "deus ex laboratoria" qui sauvera le monde à la dernière minute, moins une.


"Par ici j'ai l'impression que l'annonce d'une telle invasion serait accueillie, au moins dans certains milieux, avec une touche de scepticisme préliminaire, mais nous devons accorder aux Américains le droit de mieux connaître leurs gens.


"Pourtant, en définitive, qu'est-ce qui se passe ? Tout simplement une autre guerre. Les motifs sont simples, l'armement compliqué, mais le schéma est le même, et le résultat ?... Aucune des prévisions, spéculations, ou extrapolations, ne s'avère de la moindre utilité quand la chose se passe effectivement. C'est vraiment dommage quand on pense aux pronostiqueurs qui se sont tellement triturés les méninges, n'est-ce pas ?"


Il s'appliqua à manger sa salade."


Comme on le voit, outre la pique adressée à l'adaptation cinéma de La guerre des mondes de Wells par Byron Haskin (le livre de Wells se passant bien en Grande-Bretagne et non en Amérique et s'avérant monstrueusement bien plus effrayant alors que son adaptation au cinéma des 50's !), Wyndham a un talent de conteur délibéré et il faut le voir, par ses personnages, disserter sur la nature "Autre" des enfants et sur tout ce que cela à d'éthique et de moral dans une si paisible société (1).


De fait, le ton du roman semble volontiers calme pour contraster avec les actes monstrueux que vont produire les enfants. Si la violence est souvent toujours feutrée dans les 3/4 du livre, dans son dernier quart, sans perdre de sa verve flegmatique british, elle semble arriver sans prévenir, produisant une certaine accélération qui fait qu'on ne peut même plus lâcher le livre avant la dernière page (comme si l'on virait soudainement dans un thriller diabolique), ce qui est un sacré tour de force avec les menus défauts que j'ai pu énoncer plus tôt. Et on ne le cachera pas, c'est aussi souvent bien écrit, intelligent, parfois drôle, parfois inquiétant, tout est réuni pour en faire une nouvelle adaptation ciné... ou en série !


Vous l'aurez compris, j'ai pris beaucoup de plaisir à dévorer ce roman de SF qui, bien que désuet sur plusieurs points, continue d'en imposer naturellement de par son histoire peu commune et le plaisir évident de l'auteur d'écrire une bonne et plus que plaisante histoire !


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(1) D'où un passage assez croustillant où l'on subodore même un coup du camp adverse (en période du rideau de fer, je vous laisse imaginer) en se demandant comment celui-ci aurait fait dans la même position.

Nio_Lynes
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le 22 sept. 2018

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