Un thème toujours aussi complexe, celui du viol.
Acte du coupable qui désire égoïstement, blessure de la victime qui culpabilise.
Peu sont ceux qui osent aborder ce thème.


Nous avions jusqu'ici le chapitre 45 du Don Quichotte de Cervantès où une femme se plaint d'un viol. Reconnue victime, elle obtient une bourse de pièces d'or de son bourreau sur ordre du juge Sancho Panza. Ce même juge donne l'autorisation au violeur de dérober la bourse qu'il vient de donner à la plaignante. La femme revient se plaindre car son violeur a tenté de la voler. Et le juge de répondre : "Ma sœur, si le même courage et la même vigueur que vous venez de déployer pour défendre cette bourse, vous les aviez employés, et même moitié moins, pour défendre votre corps, les forces d’Hercule n’auraient pu vous forcer. Allez avec Dieu, et à la mal-heure, et ne vous arrêtez pas en toute l’île, ni à six lieues à la ronde, sous peine de deux cents coups de fouet. Allons, décampez, dis-je, enjôleuse, dévergondée et larronnesse !"


Caroline Giraud répond au grand écrivain espagnol en livrant une vision plus complexe et moins juridique du viol avec cette courte nouvelle, Les Etudiantes fauchées ne prennent pas le taxi, qui renoue avec l'ingéniosité narrative de La Loi de Gaïa et l'expression intérieure de Si la parole était d'or.
Dans cette belle et sensible nouvelle, elle fait entendre Alice, la victime d'un viol.
Le personnage n'est pas le corps profané, il est une voix qui, sur une période de quatre ans, passe de l'inexpérience, de l'incompréhension et des doutes - qui la rendent coupable de silence et d'acceptation aux yeux de la société et de ses amis - à une fragile reconstruction morale qui donne un autre sens au silence.
Car Alice va avoir une réaction finale plutôt inattendue, d'une maturité qui étonne et dérange à la fois.


Oui, Les Etudiantes fauchées ne prennent pas le taxi ne se borne pas à une prosopopée de la victime.
On entend, par exemple, le policier qui accuse la victime de silence complice.
On entend aussi l'amie de l'héroïne qui minimise le viol, perdue qu'elle est dans une conception du monde où règne la guerre des sexes et où le viol apparaît comme une victoire féminine et l'oubli, la preuve que ce n'est pas bien grave.
On eût pu entendre aussi le violeur mais il est vrai qu'il semble n'évoluer que peu moralement et intellectuellement au cours de l'histoire.


La nouvelle dépasse le sujet et questionne les frontières grises et complexes qui séparent culpabilité et apathie, inexcusable et impardonnable.
C'est pourquoi une anthologie commentée passionnante accompagne l'édition papier de cette touchante nouvelle, pour mieux faire entendre le questionnement.


Une nouvelle porte-parole des victimes opprimées, réduites au doute et au silence.
Une nouvelle contre l'indifférence et la superficialité mais aussi contre l'indignation destructrice et pour le pardon constructif.
Une nouvelle où les personnages sont des voix devisant du corps, des apparences et des tréfonds de la morale.
Une nouvelle qui m'a fait mûrir et qui a répondu à certaines de mes questions sur la réaction à avoir face à l'offense. Merci à Caroline Giraud !
Une nouvelle qui fait réfléchir et qui fait du bien.
Une nouvelle que je vous invite à lire au plus vite !

Frenhofer
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le 20 oct. 2017

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