Etudiant l’abâtardissement de la langue française , Loïc Madec met à nu une France « ahurie et poltronne ». De la culture populaire au jargon des élites, la langue révèle le profond affaiblissement d’une culture jadis glorieuse. Ainsi, les tics de langage et autres barbarismes sont passés au crible d’une plume pamphlétaire et sans concession : les « intéressant » « j’veux dire »« voilà » « c’est compliqué » et les deux insupportables " chacun ses goûts" et " c"est votre ressenti" qui envahissent notre langage révèlent l’inanité de la pensée . Car étudier la langue, c’est étudier les idées, et justement, notre société donne souvent la parole à ceux qui en manquent, et l’auteur le constate avec un humour teinté de malaise: « enchaîné jadis à son baladeur, aujourd’hui à son smartphone, hypnotisé, l’attention atrophiée, Neuneu végète sous le joug du tout-tout-de-suite-tout-le-temps . Comme le nourrisson et le gosse mal élevé, mais avec des prérogatives d’adultes… ». On l’aura compris, Loïc Madec n’est pas un tiède - qu’il conspue d’ailleurs à travers ce Neuneu « souple, mobile, tiède et lisse ».
Son style, qui puise dans tous les registres, constitue un plaisir supplémentaire de la lecture : « Tiraillé entre des injonctions discordantes, voire incompatibles, le fiérot [ le coq gaulois, métaphore filée de l’essai qui se transforme en … autruche] s’accommode mal des plans de la basse-cour anglo-saxonne importée dans les années 1980. Il a depuis le croupion entre deux juchoirs et focalise son œil torve sur l’immigré subméditerranéen (…) Mal planté sur ses ergots provocants, Chanteclerc s’agite et rouscaille pour conjurer son mal-être. Du haut de son clocher –dont il a parfois honte-, il fait une drôle de girouette. Déjà déboussolé par l’étranger d’antan, il est désormais désorbité par les roms, les migrants, les « travailleurs détachés », les « technocrates européens »…»
Il y a peu de domaines qui échappent à la satire mais l’Education nationale et les sciences humaines occupent une place de choix ( il faut dire qu’elles s’exposent à la critique avec quelque complaisance…). La pédagogie du « ressenti » et de l’ »empathie » accompagne l’abdication de toute autorité et produit de petits ignares prêts à perpétuer le néant enrobé dans un jargon ridicule qu’on leur sert . Pour « les « gamins » (qui) se rendent à l’école avec des armes à feu – les enseignants auront tous suivi un stage de formation à Saint-Tropez intitulé « Gestion des instruments létaux dans les groupes-classes : comment prévenir la stigmatisation . » »
Les figures idolatrées de Foucault et de Barthes passent à la moulinette, l’auteur se plaçant davantage dans la lignée de Bouveresse, Brighelli, Gauchet ou Muray, de grandes figures de la lucidité.
Les internautes (j’espère que l’auteur a puisé son expérience ailleurs que sur Sens Critique…), les « artistes » : « l’estampille « artiste » est un formidable laisser-passer. Elle affranchit la nouille comme le vaurien : l’absence d’idées, l’absence de talent, l’absence de rectitude et l’absence de sensibilité réelle ont voix au chapitre. », les politiques, tous révèlent un esprit qui se meurt. Sans être passéiste, Loïc Madec évoque avec nostalgie son professeur de latin « sévère mais juste » qui avait le courage de former des esprits libres en leur donnant déjà les connaissances nécessaires (le chapitre « Carburer au mensonge » est mon préféré ). Aujourd’hui, la bien-pensance, la fausseté des discours et surtout leur inanité ( il y a des passages savoureux où Madec retranscrit littéralement le discours oral de psychologues ou autres supposés représentants de la pensée) sape toute créativité et toute pensée authentique. La peur du jugement ou de la généralisation condamne tyranniquement chacun à l’expression fade d’un discours consensuel.
A lire donc, en espérant que ma modeste critique aura rendu justice au talent de l’auteur ( Loïc, j’en appelle à ton indulgence : ce n’est pas facile d’écrire en ayant à l’esprit que l’auteur va nous lire !)

jaklin
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le 26 juil. 2019

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