Ce livre constitue une apothéose. Dernier roman de Dostoïevski, il réunit à travers le flot de ses personnages, et plus précisément des trois frères Karamazov, l'ensemble des réflexions que l'auteur a pu faire tout au long de sa vie, agence cela avec un art consommé de l'intrigue qui réunit toute la vie de l'esprit, de l'amour, de la haine, mais aussi embrasse l'âme russe comme rarement auteur a su le faire, notamment par le biais du personnage du starets, vieux pope à la foi rassurante, vivifiante, et on a envie de le croire : vraie. Les trois frères symbolisent trois moments de la réflexion, trois états de l'homme russe en phase avec son histoire : Dmitri le passionné, amoureux, emporté, violent, bouillonnant, déchaîné comme l'immense espace russe, d'une liberté indéterminée, Ivan le rationaliste, séduit par les idées occidentales, en proie au doute permanent, au questionnement indéfini sur l'existence de Dieu, sa compatibilité avec le mal, et Aliocha, Aliocha qui donne sens à ce qui l'entoure, à ce foutoir indescriptible, agent sur terre de la parole chrétienne, délivrant son message, mais surtout à l'écoute des autres, recevant sur lui le mal et arrêtant la spirale du mal en lui et par lui, Christ descendu dans le monde des hommes. Rien dans ce livre n'est laissé au hasard, tout ce qui s'y trouve s'y trouve pour quelque chose. On retrouve au plus haut degré l'attrait irrésistible de Dostoïevski pour le dialogue, la confrontation d'idées, les histoires dans l'histoire, cette façon chorale, polyphonique et géniale de montrer la vie dans ce qu'elle a de plus profond, de montrer surtout l'existence et les questions qu'elle amène. Roman d'amour, roman policier, philosophique, religieux, Les Frères Karamazov soulèvent tout ce qui est en nous : si tant est qu'il puisse exister quelque chose comme un roman idéal, ce roman en ferait probablement partie. Voilà sans doute à quoi doit, ou à quoi devrait ressembler toute littérature : un souffle de puissance et de vie.