Que dire qui n'ait déjà été dit sur "Les Lions d'Al-Rassan" ? On connaît l'argument : une fantasy historique inspirée de l'Espagne médiévale, le destin de deux hommes et d'une femme représentant chacun l'une des trois cultures et religions de la Péninsule, des intrigues politiques et une multitude de personnages secondaires (bravo à l'éditeur pour avoir pris soin d'intégrer un dramatis personae en début d'ouvrage, tous ne le font pas !) Sans jamais avoir rien lu de Guy Gavriel Kay, j'avais souvent fait part de ma perplexité face à sa démarche qui consiste à s'emparer d'un contexte historique précis tout en maquillant grossièrement les noms réels ; bref, écrire du roman historique en gardant une certaine marge de manœuvre grâce à l'étiquette "imaginaire". C'est assurément une position très confortable pour l'auteur, mais qu'y gagne le lecteur ?


Mes appréhensions à ce sujet ont disparu dès les premiers chapitres. Même en voyant en filigrane les personnages, les lieux et les événements qui ont inspiré l'auteur, sa Péninsule avait acquis une existence propre, elle n'était plus un pastiche d'Espagne médiévale mais un véritable univers dans lequel l'intrigue était prête à se dérouler. Peut-être est-ce dû au fait que je ne connaisse l'histoire d'Al-Andalus et de la Reconquista que dans les grandes lignes ? Dans un contexte qui m'est plus familier, comme la Chine des Tang qui inspire "Les Chevaux Célestes", aurais-je eu plus de mal à faire abstraction de la réalité historique ? Autre surprise qui s'est révélée au fur et à mesure de la lecture : je m'attendais à un aspect magie / surnaturel réduit au strict minimum, pas forcément à ce qu'il soit pour ainsi dire absent. Comme on est malgré tout dans un univers fictif, ça reste de la fantasy, mais il ne faut pas s'attendre à d'autres éléments typiques du genre. Et ce n'est pas un problème, à aucun moment cette absence ne m'a gêné.


Ce qui m'a beaucoup plus gêné, c'est le gros coup de mou dans la narration une fois passées les scènes d'exposition. Pour tout dire, je me suis même pas mal ennuyé durant toute la partie centrale du roman. Et alors, comme c'est souvent le cas lorsque le tour de l'illusionniste a cessé de nous captiver, on commence à voir les grosses ficelles et à s'en agacer. L'auteur a ses petites marottes, il abuse notamment du flashforward (il évoque une situation, puis revient en arrière pour nous montrer comment on en est arrivé là) et, dans le même genre, il aime bien nous raconter un unique événement sous plusieurs angles différents... autant de procédés narratifs que j'apprécie en général, sauf que leur redondance peut donner l'impression désagréable d'un récit faisant du surplace. Autre souci, à mon goût Guy Gavriel Kay a trop tendance à ménager ses personnages principaux. Bien sûr, tous passeront par des moments difficiles, mais au vu du contexte guerrier dans lequel se déroule l'intrigue, il aurait pu y avoir un peu plus de... un peu moins de... Non, on ne va pas spoiler pour ceux qui ne l'ont pas lu.


Pour schématiser, on a donc un premier tiers d'exposition intriguant, un deuxième tiers frustrant où l'on a le sentiment que rien n'avance, et un dernier tiers prenant, où le rythme s'accélère enfin, où tout trouve sa résolution, et qui justifie pleinement la longue mise en place des chapitres centraux. Le roman est un bon gros pavé de 600 pages et l'auteur aurait sans doute pu effectuer quelques coupes par-ci par-là, aller plus vite à l'essentiel dans certaines scènes de transition ou rendre plus dynamiques certains dialogues... Mais la qualité du grand finale permet de pardonner les longueurs qui précèdent.


"Les Lions d'Al-Rassan" n'est pas le coup de cœur absolu qu'il a été pour une multitude de lecteurs, il ne sera pas pour moi le roman-culte qu'il est pour certaines personnes avec qui je partage habituellement des goûts communs. Si sa lecture n'a pas toujours été une partie de plaisir, je referme néanmoins le livre sur une impression très positive, et je sais que j'en garderai de nombreux souvenirs... sans doute beaucoup plus de bons que de mauvais. Et au moins, maintenant je pourrai parler de la fantasy historique de Guy Gavriel Kay en toute connaissance de cause.

Oliboile
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le 6 sept. 2019

Critique lue 136 fois

Oliboile

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