Les Nouveaux Héritiers par Anaïs Alexandre

L'histoire commence en 1890 et prend place sur les côtes sauvages de Floride. Isaac vient de naître, sa mère est une adolescente un peu paumée. Elle rejoint une secte avec son bébé et d'une amie. Cette dernière prend en charge l'enfant et décide de quitter le groupe avant qu'il ne soit trop tard. Elle doit se résoudre pourtant à la confier à un orphelinat. Isaac grandi, se fait adopter, développe ses talents de peintre et son goût pour l'observation de la nature. Puis il rencontre Kemper, une jeune femme déchirée par les conflits qui empoisonnent sa famille. Entre un frère aîné qui dissimule un lourd secret et un plus jeune violent, elle peine à trouver sa place Ils s'aiment et tentent de se proteger l'un l'autre, loin des hommes, sur une côte idyllique. Mais ils sont rattrapés par les tempêtes estivales et par l'Histoire. La fureur de la première guerre mondiale vient briser leur rêve. Ils doivent alors faire face à leurs démons respectifs.

Isaac et Kemper sont des personnages comme je les aime, des êtres en décalage avec le monde. Ils ont en eux des blessures d'enfances et tentent de s'en affranchir. Isaac est en décalage par rapport aux autres, c'est un artiste solitaire et habité par son art. Les premières années compliquées de sa vie lui ont données une grande sensibilité, une force intérieur. Kemper porte en elle la violence et le dysfonctionnement de sa famille. Le poids de son héritage est trop lourd et la hante.

Il est né plein d'animaux. Avant qu'il ait eu la faculté de voir et le don de la parole, avant que sa main ait su empoigner les outils pour les guider et les faire bondir sur la toile ou le papier, les animaux étaient là, l'emplissant tout entier, se faisant connaitre dans ses cris et rodant dans l’éden humide et sombre de son cœur.

Le récit est jalonné de descriptions de la nature environnante. Mais on est loin du Nature Writting habituel. Ici la nature est mouvement, changement. L'auteur nous la decrit comme une succession de phénomènes géologiques ou météorologiques. Elle est puissante, perpétuellement changeante et potentiellement hostile. Face à elle l'homme n'est rien. Les côtes se dessinent et se transforment durant des siècles, les tornades ne répondent qu'à des lois qui leur sont propres. Le paysage est vu comme le résultats de millénaire d'actions diverses. Les descriptions des tempêtes en formation sont saisissantes.

Le déclin des glaciers et des civilisations n'est pas si différent du cours d'une vie.

C'est un roman relativement court (300 pages) mais qui brosse avec beaucoup d'intensité la vie d'Isaac et Kemper. L'auteur a une grande force dans son écriture car il nous fait nous sentir très proche de deux personnages en peu de temps. Le roman est imprégné d'une profonde mélancolie. Il y a un aspect presque tragique à ce texte car on sent dès le début que cette histoire finira mal. Le texte est très poétique, certaines phrases sont sublimes. Le travail de traduction a dut être colossale.

Le roman parle aussi de nationalité, d'appartenance à un lieu. Les personnages vivent sur une frontière et dans des terres régulièrement balayées par les vents. Certains choisissent de quitter les États-Unis pour l'Amérique latine et d'autres oscillent entre les deux. C'est l'époque où Cuba est sous ingérence américaine et où les pays du sud offrent une seconde vie à ceux qui souhaitent s'affranchir de leur passé. Les personnages sont façonnés par les lieux qu'il habitent.

On ne peut pas plus nommer la tourmente qu'on ne peut retenir le vent entre nos mains ou connaitre la nature de l'amour. Essayez et vos doigts se refermeront sur du vide, envolé le poids du monde et rien entre vous et le néant.

J'ai vu qu'un autre livre de cet auteur été paru dans une autre maison d'édition. Il a vraiment un style atypique j'ai hâte de le lire à nouveau.