Parlons un peu des Ombres d’Esteren. Si vous vous intéressez ne serait-ce qu’un peu à l’actualité du jeu de rôle, vous en avez sans doute déjà entendu parler en long et en large. Aux dernières nouvelles, les 2000 exemplaires imprimés du livre de base ont tous étés livrés en boutique ou achetés. On m’indique dans l’oreillette que la grosse pointure Dungeons & Dragons était imprimé en général à 5000 exemplaires. Je pense qu’à ce stade, on peut dire qu’Esteren s’est payé une place royale dans le paysage rôliste français.

Les Ombres d’Esteren est une initiative du collectif ForgeSonges (dont je parle dans tous mes articles décidément), un projet sur lequel ils travaillent depuis au moins 2007. J’en ai entendu parler il y a de cela quelques années, et ce qui m’avait le plus accroché à l’époque, c’était la promesse d’un univers multimédia. Il ne fallait pas seulement s’attendre à un jeu de rôle, mais aussi à de la musique, des illustrations, des jeux vidéo. Un collectif d’artistes en tout genre au service d’un même univers. Un beau programme.


Les Ombres d’Esteren, c’est un univers de « low-fantasy », c’est-à-dire que vous n’y verrez ni Elfe ni Nain, mais plutôt un univers centré sur les hommes et leurs histoires personnelles. Disons que ce n’est pas la même échelle qu’un Dungeons & Dragons dans lequel on ne finit pas tutoyer les dieux.

Si l’on devait faire une comparaison avec notre monde, on pourrait dire que la péninsule de Tri-Kazel où vont se passer vos aventures ressemble plutôt à un mélange d’Ecosse, d’Irlande et de Scandinavie. On est dans un pays où les hivers sont froids et rudes, un univers de hautes montagnes et de marécages trompeurs, de forêts profondes et de mers capricieuses.

Il y vit un peuple fier, aux traditions ancestrales puisant leurs forces dans la nature. Puis d’autres s’y sont ajoutés. Les Tarish, peuple du voyage, arrivé d’au-delà des mers et gardant le secret de ses origines, et surtout les continentaux.

Loin, à l’est de la péninsule, se trouve le continent. Cet endroit mystérieux est séparé de Tri-Kazel par une chaine de montagne infranchissable. Quelques continentaux cependant sont parvenu à la traverser. D’abord, dans d’immenses bateaux-volants, les magientistes, des scientifiques et des chercheurs qui ont apporté une technologie dépassant les rêve les plus fous des trikazeliens. Puis les missionnaires du Dieu Unique, les suivants du prophète Soustraine, venu prêcher la bonne parole.


D’un coté, les magientistes se sont fortement installé en Reizh, au nord-est. Au nord-ouest, en Gwidre, la foi du Dieu Unique est devenue religion officielle. Et au sud, en Taol-Kaer, on essaye de vivre du mieux possible, dans le respect des anciennes croyances…

Les choses ne sont évidemment pas aussi simplistes que cela, et l’univers est vraiment riche et contrasté. Les conflits entre les factions ne sont pas toujours d’un même ordre : religieux, politique, écologique. On peut même y voir des problématique très actuelle ou définissant le monde dans lequel nous vivons tous : des croyances, de l’éthique dans le développement technologique, de l’utilisation de ressources naturelles fossiles, mais surtout de ce qui se cache dans le cœur des hommes, de leurs pensées intimes et de leurs peurs. Car Esteren se propose de devenir un jeu passablement horrifique sur le long terme, mais pas dénué d’espoir pour autant.


On est là face à un bel univers, un vrai monde complexe et pas manichéen pour deux sous. Celui-ci est soutenu par un matériel de fort belle facture : illustrations magnifiques, mise en page travaillée et lisible, papier de bonne qualité. De même pour l’écriture : chacun des paragraphes qui composent les trois livres déjà sortis sont un plaisir à lire.

Le premier, Univers, présente celui-ci au travers de témoignages ou d’écrits d’habitants de Tri-Kazel. C’est à la fois un avantage et un inconvénient. D’un coté, ça se lit facilement et ça met immédiatement dans l’ambiance. Mais d’un autre coté, cela nous prive d’information précises et surtout objectives, et pas passées sous le prisme des convictions des personnages. C’est un point à avoir bien en tête avant de se lancer : c’est une lecture des plus agréables, fluide, passionnante, mais qui ne donne pas du jeu de rôle clé en main. Il va vous falloir trouver votre pré-carré dans ce petit monde. Et choisissez bien, parce que toutes les factions et possibilités de personnages ne sont pas compatibles, ou pas dans toutes les situations en tout cas !

Parlons du système de règles. Il est à la fois entièrement ancré dans l’univers et en même temps pas aussi simple qu’il se prétend. La meilleure idée est sans doute les « Voies » qui remplacent les caractéristiques des autres jeux de rôle. Elles ne représentent pas tant les capacités mentales et physiques des personnages que la structure de leur personnalité. Combativité, Créativité, Empathie, Raison, Idéal, autant d’échelle qui vous permettront de savoir qui est votre personnage, et pas juste ce qu’il est.


Par contre, ensuite, entre les domaines, les disciplines, les scores d’attaque, de défense et de rapidité, la santé mentale, mes joueurs se sont un peu perdus je pense. Disons que ce n’est pas immédiat. Et je ne parle pas de la magie, qui semble un peu lourde. Disons que ça a quelques fois un peu cassé le rythme de la partie, dommage pour un jeu qui veut mettre en avant le roleplay.

Quelques mots sur les deux autres ouvrages de la gamme. D’abord, Voyages est un livret beaucoup plus petit qu’Univers, mais qui vous propose un bel écran en bonus (rien de grave, mais une résolution un poil plus élevé pour l’image l’illustrant n’aurait pas été de trop, mais je chipote). Celui-ci vous met sous les yeux tout ce dont vous pouvez avoir besoin. Je ne pense pas qu’il y ait souvent besoin de retourner chercher des règles dans le bouquin, une fois devant vous. Je suis un peu plus mitigé en ce qui concerne le livret en lui-même. Le contenu est un peu… juste. Il y a des descriptions de nombreux lieux remarquables des péninsules, mais qui ne dépassent quasiment jamais un court paragraphe. Les canevas sont intéressants et variés, mais ne propose souvent que des mini-aventures à jouer en peu de temps. La galerie de PNJ est agréable, mais je suis un vendu, j’aime trop les personnages. Et enfin, on est déçus par le bestiaire : trop peu de féondas, et pas d’archétypes d’ennemis utilisables clé en main autres que des animaux, et c’est ce qui m’a le plus manqué quand j’ai fait jouer une partie. Un ouvrage une peu décevant, pas à cause de la qualité de son contenu, mais plutôt car celui-ci n’apporte pas autant qu’on le souhaiterait…


Enfin, il y a le Monastère de Tuath. Ce dernier livret nous propose plus de détails sur la religion du Dieu Unique, la description complète d’un monastère et surtout, enfin un vrai gros scenario. Et là, on n’est pas déçu : le matériel est encore une fois magnifique, mais surtout complet : plan du monastère en poster, et fiches représentant chacun des protagonistes de l’aventures ainsi que chacun des principaux indices, à confier aux joueurs. Ca et la promesse d’une enquête à la « Au nom de la rose » donne particulièrement envie ! Un regret : dommage que la couverture soit brillante et pas mat comme les deux autres livres, mais je chipote encore.


Un mot tout de même sur la musique. L’album « D’Hommes et d’Obscurités », composé et joué par Delphine Bois est sorti en même temps que le Monastère de Tuath et est vendu avec. Pour tout vous dire, je n’avais pas l’intention de faire jouer aux Ombres d’Esteren. Je voulais juste faire un achat « pour la cause », pour soutenir une initiative d’un collectif que j’apprécie. Et puis j’ai écouté la musique, et une histoire s’est construit dans ma tête. Je suis comme ça, c’est souvent la musique qui me donne des idées. Et là, Delphine Bois a réussi son pari : elle a activée mon imagination ! L’album est essentiellement constitué de morceaux d’ambiance par contre, et est un peu… mélancolique. Il vous faudra donc trouver ailleurs des choses joyeuses ou des trucs plus combatifs pour vos parties.

Pour conclure, on est là face à une gamme d’une très grande richesse, qui sait être originale et marier des éléments d’univers différents, entre médiéval-fantastique, steampunk et horreur. C’est aussi un univers qui nous pousse à nous pencher sur des destins individuels, des conflits intérieurs, à faire du roleplay quoi ! Les thèmes abordés permettent au passage de faire un peu de mise en abîme et de parler du monde dans lequel nous vivons, de pousser nos joueurs à réfléchir un peu ! Un vrai bon jeu auquel je souhaite encore beaucoup de succès !
Infornographie
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le 9 août 2012

Modifiée

le 9 août 2012

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Anthony Avila

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