Derrière la voix railleuse du peuple lyonnais, un présyndicalisme..

La révolte des canuts en 1831 a fait naître le premier journal ouvriériste en France, avec une identité lyonnaise forte autour de l'industrie de la soie. L'écho de la fabrique fut un journal (remarqué par Alexandre Dumas) qui, entre 1831 et 1834, sur huit pages, fit entendre la voix de ces travailleurs et leur apporta la conscience d'eux-mêmes. Dans ce journal, pendant deux ans, parut une rubrique appelée "Les coups de navette", des petits phrases / micro-dialogues, souvent allusifs pour éviter des procès, qui commentaient l'actualité des conflits du travail à Lyon, avec un ton corrosif. Le nom vient d'un geste brusque fait par le canut pour chasser la navette du métier Jacquard. L'ouvrage en propose une sélection assez représentative (222 sur 470 coups de navette au total). Les choix typographiques d'origine ont été respectés.

Il y a donc de fines allusions et des bons mots, comme celui-ci "On félicitait un ouvrier de ce qu'il n'avait pas été touché pendant les trois journées [d'insurrection de 1831] : Parbleu, répondit-il, les négocians nous avaient tellement fait maigrir qu'ils ne pouvaient plus m'ajuster".

L'ouvrage est une remarquable mise en contexte. On commence par une introduction courte mais précise sur L'écho de la fabrique et les conditions de travail des canuts, suivie d'une chronologie fine sur la vie politique française dans les années 1830-1834. La mise en page est originale et charmante, avec ce joli motif en feuille de vigne désuet sur les pages orphelines, qui rappelle un peu la soie.

Ensuite on a les coups de navette, précédés d'une mise en contexte qui permet d'en saisir le sel. Parmi les principaux sujets :

• l'enjeu du "tarif", prix minimum exigé par les canuts de la part du négociant de soie en gros, qui souvent profitait du fait que les canuts n'étaient payés qu'à la livraison et qu'ils n'avançaient que de quelques cms de soie par jour. Ce tarif est adopté un bref moment en 1831 avant d'être retiré sous la pression des négociants.




• L'insurrection de novembre 1831, suite au retrait du tarif.




• La mercuriale, une sorte d'observatoire des prix sans véritable pouvoir qui est censé remplacer le tarif.




• Le courrier de Lyon, un journal ennemi, organe de la bourgeoisie et du parti de l'ordre, partial dans son traitement des canuts.




• Les "cages" sont des guichets à travers lesquelles les négociants traitent avec les ouvriers. Elles donnent leur titre au livre, avec la revendication que les ouvriers "ne soient plus des orangs-outangs".




• Le conseil des prudhommes. Le premier conseil de ce type fut créé à Lyon en 1806. En 1832-1833, après l'insurrection, les négociants sont mis à égalité avec les représentants des ateliers. L'écho dénonce progressivement leur manque de représentativité.




• Le choléra de 1832.




• Divers personnages qui crachent sur l'Echo de la fabrique, ce qui déclenche parfois des duels.




• Le procès en diffamation du journal par certains négociants.




• Le mutuellisme, pré-syndicalisme qui crée des caisses de secours et commence à s'affirmer sur la place publique malgré son illégalité, avant de déboucher sur la grève de 1834.

Le livre se conclut sur le dernier coup de navettes, "Il est plus honorable d'être injurié par de certaines personnes que d'en mériter les louanges", et sur une postface qui rapporte la suite, notamment l'insurrection de 1834. On tente un rapide bilan de cette expérience.

Ce petit livre, très bien contextualisé, permet une plongée légère et agréable dans le monde des canuts. On voit les rapports de force et la manière dont la bourgeoisie lyonnaise de la Restauration aimait à se cacher derrière l'argument de l'ordre.

Après avoir fini ce livre, on a envie d'en apprendre plus sur les différentes insurrections lyonnaises et sur la genèse du mouvement syndical en général.