En 2018, compte tenu du niveau d’intelligence de la frange la plus stupide de la population, quelqu’un pourrait penser que les soixante œuvres contemporaines reproduites et commentées ici aient été réellement publiées. Après tout, les canulars de Nord-presse ou du Gorafi sont régulièrement pris pour argent comptant. Mais dans les meilleurs articles de Nord-presse ou du Gorafi, tout est fait pour que le lecteur crédule tombe dans le panneau, et d’autre part il reste toujours quelque chose de piquant, du fait d’un propos parfois trop caricatural pour être faux.
Les Perles de l’art contemporain tentent de mêler deux procédés : à la fois une critique pas si éloignée des commentaires du style un gosse de cinq ans pourrait peindre des Picasso, et une approche un peu plus élaborée, à manier avec précaution, qui consiste à relever l’inanité esthétique et intellectuelle d’œuvres contemporaines par ailleurs desservies par la question du prix de l’art – mettons Jeff Koons. Sans surprise, l’ouvrage ne fait mouche dans aucune des deux catégories.
Je prends un exemple au hasard (p. 14-5). Le tableau, format 65 × 50 centimètres, représentant un code-barre, s’intitule Tout est à vendre. L’artiste s’appelle Claude Barre. (Oui…) La description de l’œuvre commence ainsi : « Claude Barre redessine, en exagérant leurs dimensions, des symboles de la consommation pour en dénoncer les excès. Le résultat, en noir et blanc, crée des vibrations et des contrastes forts tout en évoquant un univers carcéral et déshumanisé. Tout au long de sa carrière, Claude Barre n’aura eu de cesse de dénoncer les modes de vie dépensiers qui sont notre quotidien et qui finissent par nous aliéner, alors que notre planète s’épuise. »
Il faut admettre que jusque ici, une telle notice pourrait tout à fait se lire ailleurs que dans un canular. Et il y a dans l’ouvrage d’autres spécimens de ce discours à mi-chemin entre texte critique et profession de foi, sans lequel certaines œuvres contemporaines semblent incapables d’exister.
La deuxième moitié de la notice fout tout en l’air : « Pour s’affranchir de toute contrainte matérielle et vivre en accord avec son art dans une forme d’engagement extrême, il réside actuellement dans le Centre de la France, se nourrit de racines, habite une cabane privée d’eau courante et de chauffage, ne se coupe ni les cheveux ni les ongles, a renoncé de manière définitive aux vêtements et au savon. Il n’est plus très souvent invité à des vernissages, y compris ceux de ses propres expositions. »
En quittant le registre du pastiche, l’auteur rate sa cible, parce que la charge devient trop féroce pour être crédible, et parce que l’une des caractéristiques de la plupart des artistes contemporains prétendument engagés est précisément de vivre en accord avec le mode de vie qu’ils attaquent – qui a dit « Banksy » ? (D’autre part, on rejoint l’argument consistant à dire que la critique de la société industrielle débouche nécessairement sur une vie animale. « Tu n’as pas de smartphone ? Mais tu t’éclaires à la bougie ? », déclare tonton goguenard au repas de famille. Bref.)
Au bout du compte, les Perles de l’art contemporain rate son coup, à la fois comme pochade et comme satire construite.

Alcofribas
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le 29 janv. 2019

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