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Le rugby est un sport fédérateur chez les uruguayens ! Alors que ce petit pays d’Amérique latine n’a acquis son indépendance que tardivement, cette pratique a su unir un peuple autour de valeurs d’équipe, de force et d’endurance.

Lorsque l’équipe des Old Christians, composée principalement d’étudiants, se qualifie pour aller en Argentine, c’est l’enthousiasme généralisé. Tout est bon pour rendre ce rêve possible.

Mais le rêve vire vite au cauchemar : l’avion qui devait amener les joueurs se crashe le 13 octobre 1972 en pleine cordillère des Andes. Les survivants allaient y rester plus de dix semaines, dans les conditions les plus dures.

Cette histoire qui a fait le tour du monde ne laissa personne indifférent. Parce qu’elle démontre jusqu’à quelles incroyables extrémités l’être humain peut se rendre pour survivre, et quelles forces insoupçonnables la volonté peut conférer à celui qui use non pas de l’énergie du désespoir, mais de l’énergie du dernier espoir.

Sans nul doute, c’est parce qu’ils ont été acculés à manger la chair de leurs morts, que les membres de l’équipe des rugbymans uruguayens ont tant marqué les esprits. Mais, au-delà de l’effet sensationnel de cette annonce, cette histoire est passionnante et incroyable à plus d’un titre : elle parle de l’homme et du dernier rempart de la civilisation.

C’est après concertation que les « survivants » (c’est le titre du livre) et leurs familles ont confié leurs témoignages au journaliste Piers Paul Read, afin d’établir un récit complet et le plus objectif possible de leur expérience de la catastrophe.

Le crash ne fit pas moins de 13 morts parmi les 40 passagers. Dans des conditions épouvantables, une organisation qu’ils estiment tous provisoires, dans l’attente des secours, se met en place.

L’avion s’est coupé en deux, la radio reçoit et n’émet pas… Les survivants ne sont pas vêtus ou équipés pour le grand froid des montagnes. Dans une telle situation, tout devient utile pour affronter la température et le manque : les housses de coussin servent de couvertures et de revêtements de chaussures, les valises colmatent les fissures dans la coque, le dentifrice est un précieux dessert, le rembourrage des fauteuils fourre les bottes…

Mais ce qui ne devait durer que quelques jours commence à s’étirer dangereusement sur des semaines, et puis des mois…et un jour, une annonce terrible captée par la radio : les passagers sont déclarés morts, les recherches, abandonnées…

C’est sans compter sur la détermination des familles de bon nombre d’entre eux, qui poursuivent les investigations avec obstination et courage. Mais cela, ils l’ignorent… Livrés à eux-mêmes, il ne leur reste guère plus de choix. Mourir à petit feu, dans la torpeur de la famine et des engelures, comme certains des leurs, ou accepter la réalité des choses. Passée la réserve du garde-manger de voyage (bonbons, chocolats, alcool et autres denrées achetées à la sauvette dans l’aéroport), le panel des choix se résorbe. Dans leurs rangs, l’idée commence à prendre forme : manger la seule chose qu’ils aient en quantité, la chair humaine de leurs compagnons morts, conservée dans la neige de cette cordillère impitoyable.

D’abord révulsés à cette idée, ceux qui étaient pour la plus part des amis d’enfance, passent ce pacte : accepter que leurs corps soient mangés par les survivants s’ils ne s’en sortent pas.

En partageant quelque part le sort de leurs camarades morts, une communauté incroyablement intime se noue, une « eucharistie » dira l’un d’entre eux.

Passé ce premier tabou, il en resterait encore un à briser : celui de manger du cru et non du cuit, ce fameux « passage à la civilisation » décrit par l’ethnologue Claude Levi-Strauss. Tous n’y arrivent pas, mais ceux qui ne le peuvent ne survivent pas.

Le livre décrit ces incroyables scènes de vie « quotidienne », où le travail est organisé et réparti. Tout comme chaque débris de l’avion avait été rentabilisé pour permettre l’élaboration d’un refuge, les corps sont mis à contribution : d’abord la chair des muscles, coupée en lambeaux puis séchée au soleil. Les os sont récupérés pour le calcium, limés pour en faire de la poudre, et vidés de leur moelle. Quand la famine se fait plus criante, les viscères, les pieds, les mains, les cerveaux sont récupérés…

Le récit de Piers Paul Read ne cherche pas à minimiser les faits : il expose une réalité terrible. Un des survivants s’interroge, si quelqu’un venait à les secourir, que penserait-il en voyant une vingtaine de garçons hirsutes, sales, au milieu de morceaux de cadavres découpés, gisant au milieu d’une neige maculée de sang ?

Malgré cela, les garçons ne semblent jamais déshumanisés. Peut-être leur solide croyance en Dieu, et leur sincère amitié, a-t-elle rendu possible la traversée d’une telle épreuve.

On pensera aux récits d’autres survivants de l’enfer, ceux des camps de concentration par exemple. Dans Si c’est un homme, Primo Levi raconte comment le souvenir des vers de l’Enfer de Dante a pu maintenir sa raison et son attachement à un sentiment d’humanité, dans le ressenti d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi, qui survivra à la simple déchéance du corps.

Qu’il s’agisse de culture, de religions, de sentiments, cet attachement permet à celui qui l’éprouve d’affronter la perte des marqueurs de la civilisation.

Ces garçons, livrés à eux-mêmes des semaines et des semaines, dans les pires conditions, resteront soudés et humains, dans des conditions où même une bête se serait laissée mourir.

L’incroyable périple de Nando Parrado et Robert Canessa atteste de cette incroyable énergie du dernier espoir. Comprenant que les secours ne viendraient plus, les deux garçons décident de rejoindre à pied le Chili, qu’ils espèrent voisin, pour chercher eux-mêmes de l’aide. Se fiant à quelques cartes, aux derniers mots du pilote, à une boussole et à un improbable revers de fortune, les deux amis partent pour une mission sauvetage qui allait durer huit jours, au travers des montagnes enneigées.

Le récit de leur survie émut d’abord le monde entier, avant de créer un certain sentiment de malaise, suite à la mise à jour de leurs actes de cannibalisme…

Avec le temps, la majorité finit par se résoudre à l’idée que c’était la seule issue possible. Et surtout que si tous avaient survécu au crash, peut-être chacun serait-il mort ! Seule cette violence sacrificielle pouvait fédérer et unifier la bande des survivants, et sauver leur communauté dans un acte fondateur et, in fine, de civilisation recréée.

Pour toutes les réflexions qu’il suscite, nous ne pouvons que conseiller la lecture de cet ouvrage. Même si son principal défaut reste la qualité de l’écriture, relativement handicapante pour une lecture assez longue.

Signalons l’existence d’un autre ouvrage, le témoignage de Nando Parrado, « Miracle dans les Andes ».

Cette aventure a également été portée à l’écran en 1993 par le réalisateur américain Franck Marshall, dans le film « Les survivants », avec Ethan Hawke. Bien qu’intéressant, le film demeure assez édulcoré. On lui préfèrera le reportage de Gonzalo Arijon, « Les naufragés des Andes », qui expose directement les incroyables témoignages des Olds Christians survivants.

Emma Breton
madamedub
8
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le 16 janv. 2013

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