Ce roman est assez particulier, car l’auteur, le Mexicain Juan Pablo Villalobos nous immerge dans un univers foisonnant (qui correspond parfaitement à la définition du mot picaresque) où on a d’abord l’impression qu’il s’en contente sans autre idée directrice. Son personnage principal, Teo, est un retraité qui emménage dans un immeuble spécialement prévu à cet effet qui l'amène donc à côtoyer d’autres personnes de sa génération. Parmi celles-ci, une femme nommée Francesca mène la troupe. Obsédée par la littérature, elle a fondé un club où chaque membre se doit de lire ce qu’elle suggère fortement, de façon à en discuter en groupe. Elle se montre ambitieuse, puisqu’elle s’intéresse à rien moins que A la recherche du temps perdu de Proust, d’où le titre du présent roman, car les membres du club vont se voir subtiliser leurs exemplaires de lecture. Pas du tout intéressé par ce club, Teo se reconnaît néanmoins attiré physiquement par Francesca. De plus, il nie se livrer à la moindre activité littéraire. Pourtant, il passe sans tarder pour un écrivain, car il passe beaucoup de temps à noircir des carnets, Francesca le sait bien (par quel moyen ?) Son truc à lui serait plutôt le dessin.

Si le roman tarde un peu à se décanter ou du moins à donner de solides pistes de lecture, c’est sans doute voulu. On finit par comprendre que le roman que Francesca voit Teo écrire n’est autre que celui que nous lisons. Le sous-entendu à mon avis, c’est qu’on peut écrire quasiment sur n’importe quoi, parce que ce qui compte c’est la façon de présenter les choses ainsi que le style. Il faut savoir faire preuve d’originalité et avoir quelque chose à transmettre. Ce que l’auteur cherche à transmettre, indéniablement, c’est sa vision de la société mexicaine, très instable voire pourrissante. A cet égard, nous avons la description de l’envahissement systématique du logement du narrateur par des cafards. Il s’avérera que le seul moyen de les faire fuir serait une musique absolument insupportable aux oreilles du narrateur, ce qui revient à dire que la solution est aussi insupportable (voire davantage) que l’inconvénient qu’elle cherche à traiter. Le roman, comporte de nombreux sous-entendus qui font je pense référence à l’histoire mexicaine ainsi qu’aux hommes qui l’ont marquée. Mais là, il faut des connaissances me semble-t-il assez pointues. Teo cherche donc la légitime tranquillité (ou sérénité) correspondant à son âge. Mais, il doit faire face à d’innombrables sollicitations, notamment d’un vendeur ambulant qui finit par devenir son ami, à force de venir sonner à sa porte deux fois par semaine à des moments bien précis. Les discussions partent un peu dans tous les sens. D’autre part, le narrateur se souvient par moments de sa jeunesse, de la disparition accidentelle de sa mère et de sa sœur. Il a également des flashs à propos de la mort de son père, qui fait l’objet de plusieurs mises en scènes successives. Et de son amour pour la belle Marilín qui le traitait régulièrement de cochon. Le retraité qu’il est désormais en pincerait plutôt pour celle qui vend des tomates pourries à ceux qui viennent s’approvisionner en vue de manifestations. Mais elle aussi recule indéfiniment le moment de passer aux choses sérieuses, préférant se contenter d’une amitié et de confidences.

Le narrateur a gagné sa vie comme taquero (vendeur de tacos), donc de manière modeste. Il est question de chiens dans l’histoire, car on tente de lui en vendre pour le fournir en viande destinée à garnir ses tacos ! Ce roman se passe donc dans un milieu modeste, avec un personnage central confronté à de nombreuses avanies. Sa recherche de la sérénité est mise à mal régulièrement. Et donc, bien qu’il s’en défende, cela donne lieu à l’élaboration d’un roman, celui que Villalobos nous propose. L’auteur se montre donc plus subtil qu’on pouvait imaginer au début, en se montrant suffisamment habile pour multiplier les références et les péripéties, mais aussi en proposant une étonnante réflexion sur la littérature, comment elle peut s’élaborer, mais aussi comment tout un chacun la réceptionne à sa façon.

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le 16 sept. 2025

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