J'ai longtemps hésité à écrire ce texte et à le publier ici. Il ne s'agit bien évidemment pas d'une critique culturelle. Finalement je me lance quand même.
[le livre sur lequel je publie cette critique, je ne l'ai pas lu, donc la note est purement fictive]


La réforme du collège pour la rentrée 2016 constitue non seulement une imposture méprisante, mais aussi l'aboutissement de la plus grande entreprise de destruction du système scolaire en France.
En effet, cette réforme est le point d'arrivée (temporaire, soyez-en sûrs : on ira encore plus loin dans quelques années) de quarante ans de politique éducative absolument désastreuse menée, quelle que soit la couleur du gouvernement, par les tenants de la Reine Pédagogie. la logique derrière tout cela est double :
1°) d'un côté, faire des élèves des enfants-rois tout puissants auxquels on n'a plus le droit de dire quoi que ce soit. Ce mouvement dépasse d'ailleurs le seul cadre scolaire, puisqu'avec l'interdiction des fessées on glisse vers une interdiction des punitions en général (ce qui se pratique presque déjà dans le milieu scolaire).
Et bien, c'est la même chose qui se déroule au sein d'un collège. Le gosse ne fait pas son travail : on n'a plus le droit de le punir, on doit miser sur sa bonne foi naturelle lorsqu'il affirme qu'il l'a oublié chez lui, ou que son chien l'a mangé, ou encore qu'un extraterrestre l'a enlevé pendant la nuit. Un gosse insulte un prof ? Mais vous comprenez, le pauvre petit, il ne faut surtout pas le punir, ça pourrait le traumatiser, puis l'aigrir encore plus contre l'institution.
Cela se double de la toute-puissance des parents auprès de l'institution scolaire. Un gosse se retrouve avec 05/20 de moyenne générale à la fin de 3ème ; ses parents insistent pour qu'il passe en lycée général ? Pas de problème, on ne peut plus s'y opposer, il passera donc.
Et il aura son bac, puisqu'on lui donnera. Les témoignages de correcteurs d'épreuves (bac, brevet ou autres) abondent : hausse systématique des notes des profs, note plancher au-dessous de laquelle on ne peut plus descendre (un collègue de philo m'a dit que pour les bacs techno, il n'avait plus le droit de mettre en-dessous de 09/20), fautes essentielles sur lesquelles on ferme allégrement les yeux en dépit du bon sens (dictée du brevet session 2015 : on nous a demandé d'accepter si les élèves écrivaient "leurs langues", comme si les personnages de Le Clézio possédaient plusieurs langues par personne), etc.


Est-ce la peine de dire vers où se dirige une société qui apprend à ses enfants que tout leur est permis ? outre le côté extrêmement dangereux de laisser des adolescents libre de leurs faits et gestes sans la moindre sanction possible, il y a autre chose qui fait peur là-dedans.
L'un des buts de l'école est de faire des citoyens. Je peux vous assurer que les profs, au-delà des élèves, voient généralement les adultes qu'ils sont en train de former. Des personnes qui vont se retrouver sur un marché du travail de plus en plus sanguinaire où les droits des salariés sont de plus en plus restreints.
or, soyons clairs là-dessus : nous formons, au mieux, des générations de chômeurs incapables d'assumer le moindre emploi. Parce que non seulement ces personnes n'auront jamais appris à travailler, mais en plus on leur aura donné, pendant tout leur parcours scolaire, l'idée farfelue que sans travailler on peut obtenir tout ce que l'on veut, qu'il n'est pas besoin de respecter la moindre règle.
peut-on s'étonner sincèrement que des pompiers se font caillasser, si on n'apprend pas aux gosses à respecter les personnes autour d'eux ? Mais modestes années d'expérience m'ont appris une chose : même s'il se couperait un bras plutôt que de l'avouer, un ado a besoin de règles strictes à observer. Il demande (plus ou moins consciemment) des limites à ne pas franchir. Personne n'est plus malheureux qu'un ado libre de tous ses mouvements.


Du coup, j'avoue rire franchement lorsqu'un ministre, quel qu'il soit, parle de restaurer l'autorité des professeurs. Mais cette autorité, il est simple de la restaurer : nous laisser punir et/ou sanctionner, laisser le conseil de classe seul capable de décider de l'orientation d'un élève, revoir le système de correction des épreuves. Faites-nous confiance, que diable ! Les profs sont toujours honnêtes dans leur volonté de donner le meilleur aux élèves.
Parce qu'on sent bien souvent ce manque de confiance. Manque de confiance de la part de parents qui pensent pouvoir nous enseigner notre métier (nous sommes les seuls qui reçoivent des conseils de la part de leurs "usagers" ! il ne viendrait à l'idée de personne de conseiller un plombier-chauffagiste ou un prothésiste dentaire, mais visiblement tout le monde est prof donc tout le monde se permet de nous dire comment faire notre métier), et surtout manque de confiance de la part de notre hiérarchie, pour qui les échecs sont exclusivement imputables aux profs. ben voyons !


la suite ici : http://www.senscritique.com/livre/Le_pacte_immoral/critique/81972457

SanFelice
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le 15 janv. 2016

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