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Cette fille que j'aime, jeune à jamais

Je ne peux remercier assez Mme Kerlan, dont la plume, même neutre, me porta à connaissance et l'amour de cette femme, Lin Zhao, qu'on ne peut connaître sans absolument éprouver la nécessité de porter sa mémoire, son expression de radicalité pure qui fit brandir avec la passion de la jeunesse un idéal par une sage raison fondée. L'histoire me déclarera innocente disait-elle, et à ce chantier j'apporte ici une modeste pierre, portant haut sur une torche la flamme que je veux déclarer à ce brasier ardent qui l'a fait naître, une Antigone incarnée, malheureusement mais superbement.

Hommes et femmes sensibles à la chose publique, épris d'idéal, quelle meilleure aspiration pour vous que l'imitation de cette jeune femme? Poétesse de l'ordinaire dont la connaissance enthousiaste de la culture classique de son pays ne priva pas d'une grande curiosité de l'héritage du monde, à qui jamais les nombreuses et violentes injonctions de l'état communiste chinois ne parviendront à faire cesser d'assumer pleinement la conviction profonde qui l'habitait, et qu'elle ne pourrait quitter sans mourir. Son aversion pour l'injustice la fera s'opposer et dénoncer en tout, tout le temps, ce régime atroce, même face aux ripostes de cette brutalité extrême qu'on peinait à concevoir avant que les idéologies du XXe en repousse les limites.

L'autre grand génie de Lin Zhao, c'est nous montrer si bien que la jeunesse est belle, et beaux sont les espoirs qu'elle peut porter avec tant d'énergie, et pourtant dans la désinvolture de la vie quotidienne. Ainsi, avant d'être ce joyau de l'Histoire, elle vécut l'existence banale d'étudiante d'université - toute prestigieuse qu'elle soit -, de jeune femme qui ressentait si intensément les émotions qu'elle en composait d'élégants vers pour exprimer ses peines et ses espoirs. Elle vécut des amitiés sobrement profondes composées de simples ballades en bord de lac, de correspondances érudites, des rires et des tourments si beaux et si communs des relations. Elle avait cette faim naturelle de changement dans ce pays et cette époque en mouvement qui l'entouraient... Elle sut vivre et incarner tant d'éléments de cette volonté motrice de la jeunesse, utilisée puis brisée par le PCC, et dont elle, Lin Zhao, ne s'est jamais remise que pour manifester sa déception rancunière à ce propos. D'une rancune de désespoir bien plus que de haine, miroir inversé de cet espoir éminent qu'elle plaçait dans le communisme, dont on avait pensé les réalisations promises toutes proches avec l'effervescence de l'université de Pékin, la campagne des Cent Fleurs, et qui paraissent maintenant tellement loin qu'on peine à concevoir que des personnes y aient sincèrement crus.

Que de colère pour toute cette jeunesse dont l'espérance a été d'abord détournée pour asseoir violemment le pouvoir de ceux en qui ils croyaient. Que de peine pour toute cette jeunesse dont l'espérance a été ensuite brisée de la même manière par ce même pouvoir. Ces rêves de la jeunesse à laquelle il suffit de lier de manière inaliénable des exactions, considérées alors comme des étapes obligatoires, peut être maniée si facilement par des agents du mal, et l'a été tout le XXe siècle à travers le monde. A seulement y penser, des larmes poignent, ma poigne s'arme, mais d'impuissance seulement.

Le regard désabusé et horrifié sur ce que peut être la nature humaine, laissé ce siècle glauque ayant vu des pouvoirs organiser des massacres en déshumanisant en droit les cibles et en fait les auteurs, il ne faut toutefois pas y succomber. C'est cela que nous rappellent les saints, montrant par leurs vies que l'exemple du Christ est à la portée de tous, ce rayonnement en l'homme de Dieu qui s'abaisse à son niveau pour le relever. Lin Zhao, toute mystique et amoureuse de Dieu fut elle, n'est pas une sainte de l’Église, mais elle est, à leur exemple, de ceux qui explorent le champ de l'impossible et montrent aux autres ces endroits qui semblent inaccessibles pour les y inviter à leur côtés. Quelle excuse avons nous de notre inaction, de notre cynisme et de notre désespoir devant nos sociétés qui semblent si rigides et décadentes, quand cette petite femme, de faible constitution, souffrant de maladie chronique, avait tant soif de justice et de vérité qu'elle lutta avec une puissante force de volonté devant un pouvoir communiste qui devait paraître bien davantage immuable et figé.

Lin Zhao n'a jamais renoncé à cet idéal qui l'avait originellement liée au parti, et quand il fallait y renoncer pour avoir une carrière ou simplement une tranquillité vis à vis du pouvoir, elle a gardé ce fol esprit de jeunesse et cette radicalité - et non extrémisme - politique, gardant en tête toujours ses aspirations premières pour elle et pour la société, qu'elle avait médité et qui avaient émergées par son cheminement et son amour de l'érudition, ces faits même qui l'avaient conduite originellement au communisme, dans toute sa naïveté. Marginale paraissant folle quand tous les autres faisaient profil bas ou étaient aveuglés, elle était en fait la seule encore lucide à s'accrocher à un universel qui lui assurait ce recul raisonnable sur ce que la société chinoise vivait, qui ne la satisfaisait pas, à raison ! Ainsi elle fut conduite en prison, où loin d'être la conclusion de son combat, elle y continua sa lutte avec endurance devant les vexations dont on ose à peine imaginer la teneur, pendant plus de 6 ans, désobéissant à l'administration, écrivant avec frénésie, même avec son sang sur des tissus, quand tout autre moyen lui étaient retirés.

Droitière Lin Zhao, je veux faire connaître votre vie en criant au vent combien je vous admire et même vous aime, vous et ce pour quoi vous avez mené cette bataille. Cela vous a tant fait souffrir et le bénéfice devait vous sembler lointain et incertain, en attendiez-vous seulement un ? Cela avait-il seulement de l'importance ? En tout cas vous n'avez jamais cédé. Pour vous, pour toutes ces personnes qui ont fait comme vous et que l'Histoire n'aura pas retenu, votre nom sera un symbole et moi un de ses relais.

Pourquoi ne serait-ce pas là du sang ? Notre innocence, notre intégrité, notre bonté, notre pureté d'âme, notre tempérament enthousiaste et chaleureux ont été utilisés de façon insidieuse. Et quand nous avons été plus matures, quand nous avons commencé à prendre conscience de l'absurdité et de la cruauté de la réalité, quand nous avons commencé à réclamer ces droits démocratiques qui nous étaient dus, nous fûmes persécutés, torturés, opprimés de la façon la plus cruelle.
Pourquoi ne serait-ce pas là du sang ? Notre jeunesse, nos amours, nos amitiés, nos études, nos carrières, nos espoirs et nos idéaux, notre bonheur, notre liberté, tout ce qui nous faisait vivre, tout ce qu'un être humain possède, a été presque entièrement détruit et enterré par ce système nauséabond, pervers, ce système totalitaire.
Pourquoi ne serait-ce pas là du sang ?

- Lin Zhao

Pepsimon
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le 18 août 2022

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