Réunissant un ensemble de textes datant des années 80, cet ouvrage reste fort intéressant comme relevé des étapes de la désagrégation d'un monde, des éléments structurels d'une société; car Enzensberger est un témoin particulièrement lucide de cet écroulement et tout particulièrement dans ce secteur particulier que l'on ose encore nommer la Culture:
"L'analphabétisme, que nous avons enfumé dans ses repaires, est revenu, vous le savez tous, sous une forme qui n'a cette fois plus rien de respectable. J'ai nommé le personnage qui domine depuis longtemps la scène sociale : l'analphabète secondaire. (...) Notre technologie a développé, en même temps que les données du problème, la solution adéquate : la télévision, média idéal pour l'analphabète secondaire. On verra, en règle générale, des analphabètes secondaires occuper les premières places dans la politique et l'économie ... "
En conséquence, "La culture se trouve dans une situation entièrement nouvelle. (...) Les dirigeants, dans leur majorités des analphabètes secondaires, n'éprouvent plus aucun intérêt pour elle, elle ne doit -ni ne peut- plus être au service d'un intérêt dominant. Elle ne légitime plus rien. Elle est hors la loi, ce qui est après tout aussi une sorte de liberté. Une telle culture ne peut compter que sur ses propres forces; plus vite elle l'aura compris, et mieux ce sera.
"
et donc, "... la littérature est redevenue ce qu'elle était dès le début : l'affaire d'une minorité.
Les écrivains peuvent se démaquiller, ôter le masque qu'ils ont longtemps porté pour la représentation. Le vrai public, le public proprement dit, la minorité de dix à vingt mille personnes qui ne s'en laissent pas conter - ce public s'est depuis longtemps détaché du théâtre de guignol des grands médias. Il forme son jugement indépendamment du blablabla des comptes rendus et des talk-shows : la seule forme de réclame à laquelle il croit, c'est la propagande, gratuite et non rénumérable, qui se fait de bouche à oreille.
"
On pourra donc s'interroger, 20 ans plus tard, sur l'étrange persistance chez un certain public de l'illusion d'une culture libératrice, alors même que la domination spectaculaire marchande a réussi à rendre cette culture littéralement inaudible pour le plus grand nombre; pour ceux-là mêmes qui désormais se contentent d'avoir pu obtenir des diplômes.

steka
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes SENSCRITIQUE me ruine et La culture et la domination

Créée

le 15 oct. 2013

Critique lue 418 fois

16 j'aime

6 commentaires

steka

Écrit par

Critique lue 418 fois

16
6

D'autres avis sur Médiocrité et Folie

Médiocrité et Folie
MarianneL
8

Critique de Médiocrité et Folie par MarianneL

Publié en 1988 en Allemagne, «Médiocrité et folie» (éditions Gallimard, 1991) rassemble des textes sur des thèmes divers, écrits entre 1974 et 1988 par un Hans Magnus Enzensberger impressionnant de...

le 4 janv. 2015

2 j'aime

Du même critique

La Société du Spectacle
steka
10

Du Devenir marchandise

Lire « La société du spectacle » n'est pas chose aisée. Non pas que ce livre soit particulièrement difficile en lui-même, mais parce que cette difficulté tient à la nature même de son objet. En...

le 25 nov. 2011

95 j'aime

17

Le Prince
steka
9

Machiavélique ?

"Je prétends que ceux qui condamnent les troubles advenus entre les nobles et la plèbe blâment ce qui fut la cause première de la liberté de Rome : ils accordent plus d’importance aux rumeurs et aux...

le 1 déc. 2011

83 j'aime

30

Discours de la servitude volontaire
steka
10

De notre servitude volontaire

Ce livre fut écrit il y a cinq siècles. Pourtant, chez tous ceux pour qui le mot Liberté a encore du sens et qui accessoirement savent lire, son actualité s'impose cruellement. Car si la domination a...

le 26 nov. 2011

65 j'aime

2