Sandor Marai s'attache ici à sa vie entre 1944, date de l'arrivée de l'armée rouge en Hongrie, et 1948, date de son départ vers l'Europe de l'ouest, puis les Etats-Unis pour fuir le régime soviétique.


Le livre commence plutôt comme une chronique, un récit de choses vues dans le chaos de la guerre, d'abord dans le coude du Danube à l'ouest de Budapest (région d'Esztergom), puis à Budapest. Puis, avec le retour de l'écrivain au milieu d'une Budapest dévastée, il dérive un peu vers l'essai, et porte sur des sujets comme la place que cherche un écrivain "bourgeois" dans un régime de plus en plus soviétisé, le rôle de l'écrivain à son public, mais surtout l'identité hongroise, l'histoire de ce pays que sa langue, complétement différente des autres, isole comme une île au milieu de l'Europe de l'est ; de ce pays qui n'a jamais été qu'occupé, entre le marteau habsbourgeois et l'enclume ottomane, puis entre les nazis et les communistes. Enfin, sur le changement brutal qu'a opéré la Seconde Guerre Mondiale sur les sociétés.


Je serais tenté de rapprocher ce livre du Monde d'hier de Zweig, si sa démarche était plus chronologique, mais la réflexion de Sandor Marai est faite de va-et-vient assez déroutant pour un homme qui n'est pas hongrois. Il n'empêche que ce livre est une bonne porte d'entrée vers la Hongrie pour le touriste. D'abord car Marai disserte avec passion de la littérature hongroise, c'est donc une bonne entrée en matière vers d'autres lectures. Ensuite car le livre balise bien la ville-Budapest, dans les changements profonds qu'elle a pu connaître au cours de ces années mouvementées. Aussi car Marai s'intéresse au monde bourgeois et petit-bourgeois hongrois. Enfin car il parle non seulement du statut de l'écrivain hongrois en Hongrie, mais du regard qui est porté sur lui par l'Occident : Marai fustige l'absence de réaction de l'Occident face à l'avancée de l'URSS en 1945-1948, mais aussi les regards de commisération condescendante pour la littérature de son pays qu'il a dû essuyer lors de ses rares séjours à l'étranger (Suisse, Italie et Paris).
Le livre parle aussi beaucoup de l'identité russe (dissertation sur les thèses de Spengler et la pensée asiatique), et ce livre est un témoignage sur l'arrivée au pouvoir des Soviétiques en Hongrie - encore qu'on ne puisse dire que Marai se soit vraiment trouvé au coeur de l'action. Sans surprise, l'auteur n'a pas une image très positive du communisme stalinien, assimilé à une colonisation et un pillage qui ne disent pas leur nom. Evidemment, l'historien reste un peu sur sa faim, puisqu'il n'y a quasiment rien au sujet de la République des conseils de Bela Kun ou sur l'insurrection de 1956 : c'est probablement dans un autre livre de Marai ?


Un témoignage doublé d'un essai, ce qui donne un livre un caractère un peu composite mais ne lui ôte pas sa valeur. J'ai souligné beaucoup de passages mémorables, que je ne listerai pas ici.

zardoz6704
7
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le 7 mars 2016

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zardoz6704

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