Une fois de plus, Gauvain sert de base à une bonne partie de l'intrigue: il a disparu de la cour du Roi Arthur, et Méraugis de Portlesguez se charge de chercher ce qu'il est devenu. On pressent l'abondance de la littérature qui tourne autour de Gauvain, "fleur de toute chevalerie".
L'originalité de ce roman tient dans deux types de passages:
- des dialogues brefs et alertes, sans indication d'interlocuteur, et qui sont censés représenter soit les pensées intimes du personnage dont on parle, soit fournir des éclaircissements indispensables au lecteur pour su'il suive le récit sans peine
- de véritables débats courtois de casuistique amoureuse, qui permettent d'évaluer le degré de raffinement auquel était parvenue la réflexion sur l'Amour et les relations entre le chevalier et sa Dame. Les sentiments amoureux éprouvés par Lidoine et Méraugis sont décrits avec un détail et une violence particuliers.
Pour le reste, l'intrigue est plus classique: la jeune fille se fait enlever puis épouser à la fin. Pas vraiment très original. Par contre, le roman arthurien évolue: il est certes écrit sous la même forme que les grands romans de Chrétien de Troyes (6000 octosyllabes: même la dimension des romans du Maître est comparable à "Méraugis"). Mais le renouvellement vient de l'addition de personnages complémentaires qui gravitent autour de la cour du Roi Arthur; de la caractérisation poussée des "méchants", dont le surnom seul inaugure le pittoresque chevaleresque dont se délectera encore Don Quichotte: "L'Outredouté", "Belchis le Louche"; de l'introduction d'épisodes merveilleux traités avec plus de fantaisie que de profondeur symbolique (Le château où l'on danse une carole forcenée, l'énigmatique "esplumoir" de Merlin, qui revêt ici la forme d'un château peuplé de jeunes filles, et sans porte d'accès - ceci reflétant sans doute la situation "hors du temps et de l'espace" de Merlin qui n'apparaît pas; la croix magique qui parle et offre à Méraugis le choix entre trois routes aux noms énigmatiques).
La morale est sauve: les amis rivaux se réconcilient, et il se peut que l'on puisse y voir la leçon chevaleresque de l'amitié aristocratique au-dessus des querelles de coeur.
Le sénéchal Keu y apparaît, toujours sarcastique et malveillant. Plusieurs nains également, qui font souvent preuve de méchanceté et de duplicité.
Au total, les éléments merveilleux et symboliques sont plutôt là pour amuser le lecteur, mais la source intérieure qui leur donnait sens ne les irrigue plus. On voit s'amorcer ici la réduction de ces motifs au statut de poncifs conventionnels, que les siècles jusqu'au baroque et au rococo achèveront de transformer en coquilles vides.
Ainsi se meurt le coeur d'une culture.