Metropolis
7.7
Metropolis

livre de Philip Kerr ()

À la fois la dernière enquête et la première de Bernie Gunther (et malheureusement sa dernière…). Cette critique est également pour moi l’occasion de partager mon sentiment sur l’ensemble de la série.


J’apprécie en premier lieu le personnage de Bernie, son humanité, sa profondeur historique (Bernie est plongé dans la montée du nazisme, mais a déjà vécu la guerre précédente), son ironie qui le fait tenir, le code moral auquel il s’accroche (une véritable boussole pour les temps de tempête), son courage, sa détermination. Dans Métropolis, l’auteur a bien rendu sa jeunesse. Malgré un passé déjà douloureux et traumatisant, je le trouve bien moins désespéré que dans ses aventures postérieures (et livres antérieurs). Dans la parenthèse romantique de l’histoire, sa relation sentimentale insuffle quelque chose de thérapeutique dans son développement, alors que sa chute annonce des souffrances à venir. Car en dépit de sa jeunesse, Bernie est déjà marqué au fer rouge par son métier et son amoureuse l’a bien senti. Malgré la force de son affection, elle voit finalement Bernie comme un élément contagieux. Une sorte de pestiféré. Sa profession le place en marge et ne cessera de peser sur son destin. C’est comme une malédiction antique. Bernie rejoint les héros de la guerre de Troie. Il marche sans faillir vers sa fin.


Un autre intérêt essentiel de cette série est, à mon sens, son sens du détail dans le respect de la vérité historique. Cette exigence englobe autant les grandes dates et divers évènements incontournables, souvent traumatisants, que les objets du quotidien, les styles vestimentaires, les marques des cigarettes, les articles d’alimentation, les modèles automobiles, etc. Grâce à un travail de documentation impressionnant, Philip Kerr facilite notre immersion dans les époques qu’il visite.


Enfin, en utilisant les codes du polar, cette véritable saga met en scène « un tragique au carré » qui permet d’en multiplier l’intensité, surtout quand l’auteur arrive à lier les tragédies individuelle et collective. C’est le cas dans Métropolis avec ces meurtres en série de prostitués, puis de mutilés de la Grande Guerre qui font la manche dans Berlin, méprisés par nombre de leurs contemporains (et par les nazis en premier) juste parce que ces malheureux leur rappellent la défaite. Avec eux, Bernie est ballotté par l’Histoire. Il a conscience qu’il ne pèse pas lourd, mais fait de son mieux à la place qui est la sienne. Il est surprenant (ou pas) de constater que bien des soucis nous seraient évités si son état d’esprit était mieux partagé. Dans la même veine, on pourrait aussi se dire que la plupart des drames collectifs sont provoqués par ceux qui veulent à toute force laisser une trace dans l’Histoire. Cette réflexion pourrait s’avérer désespérante en suggérant que la politique avilit tout (et qu’il faut se méfier en premier de ceux qui nous veulent du bien ou plutôt que tous ceux qui s’engagent en arguant le bien commun pensent surtout à leur propre intérêt…), mais heureusement les contre-exemples sont aussi nombreux, surtout à cette époque, avec tous ces hommes qui se sont opposés aux premiers avec la même détermination. Certains, probablement sans le chercher et juste pour rester fidèles à eux-mêmes, ont ainsi rejoint nos manuels d’histoire. Alors, faisons plutôt le choix de continuer à croire en l’homme. Bernie Gunther peut nous y aider.


Encore merci, Philip Kerr !

StéphaneFurlan
9
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le 24 mai 2021

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