Monsieur Tristecon, chef d’entreprise (on appréciera la modernité de l’appellation, le livre ayant paru pour la première fois en 1960…) propose une variation autour de l’espèce du bourgeois. N’atteignant pas la dimension mythique d’un père Ubu, ni même d’un Joseph Prudhomme ou d’un Tribulat Bonhomet, Monsieur Tristecon se rattacherait plutôt à la variété petit-chef, médiocre et auto-satisfait : « une âme de chef » (p. 15 de la réédition de l’Arbre Vengeur), un Homais qui aurait des employés. « Il a élevé le margoulinage et le gagne-petit à la hauteur d’une industrie qui, partie de la vente à la sauvette, a fini par atteindre la surproduction » (p. 7).
Comme souvent avec François Caradec, la littérature joue d’autant plus avec le réel (« Il est sourd d’à gauche et il a une légère, une très légère cocuterie dans l’œil. / Il est excessivement sympathique. / On dirait un lavement », p. 9) que le personnage est inspiré d’un directeur d’imprimerie ayant réellement existé, mais aussi avec d’autres œuvres : « Monsieur Tristecon, c’est Monsieur Test » (p. 16), écrit l’auteur à propos du goût du chef d’entreprise pour le « personnel d’élite ». Et comme souvent avec l’humour noir intelligent, l’essentiel du propos reste hors-texte : ainsi, une fois su que M. Tristecon « continue à tomber dans tous les panneaux. Gaulliste sous Vichy, pétainiste à la Libération. / – Il faut évoluer, dit-il » (p. 23), c’est au lecteur de s’imaginer les implications de tout cela.
Alors que manque-t-il à Monsieur Tristecon, chef d’entreprise pour être un bon, voire un très bon livre ? Un peu d’épaisseur, peut-être, dans tous les sens du terme : une petite trentaine de pages écrites gros, ça reste un peu léger (bien que la postface ne manque pas d’intérêt, ce qui mérite d’être signalé), et puis on tourne un peu en rond. « – La bêtise humaine a tout de même des limites, dit Monsieur Tristecon en confidence ; et je les connais » (p. 24). Ces portraits-charges, tout plaisants qu’ils soient, ont aussi les leurs.

Alcofribas
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le 30 oct. 2018

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