Roman complet sur la réception de l'homosexualité au sein des sociétés occidentales à la fin du 20e

Suède, début des années 80


Rasmus est un jeune homme qui se décide à quitter son petit village perdu (Koppom) afin de gagner Stockholm et de pouvoir vivre pleinement son homosexualité.


Benjamin, ardent prédicateur chez les témoins de Jéhovah, lutte contre ses désirs interdits. Un jour, il se laisse tenter par l'invitation d'un homosexuel déclaré et fait la connaissance de Rasmus.


Pendant ce temps, le sida commence ses ravages.


Roman bon, voire très bon, ne serait-ce que par l'ampleur des thèmes qu'il brasse et des destins qu'il évoque.


Ce que j'ai peut-être préféré là-dedans, c'est l'aspect historique. En effet, l'auteur choisit une période charnière (les années 80) en ce qui concerne l'homosexualité. Elle commence à être peu à peu tolérée par les masses mais est toujours loin d'être aussi acceptée qu'elle ne l'est de nos jours. Et puis il y a le sida. Le choix de cette période permet à l'auteur de présenter la façon dont la vie homosexuelle a pu s'organiser à partir grosso modo de la seconde guerre mondiale jusqu'aux années 80. Bien sûr, ça se passe en Suède mais je crois que beaucoup de choses décrites sont transposables dans bon nombre de sociétés occidentales.


J'ai aimé apprendre comment les homosexuels se rencontraient (ah, il n'y avait pas encore grindr et planetromeo...), comment la vie associative était alors importante et pouvait faire bouger les choses (une occupation de locaux dans les années 70 par des militants gays qui débouchent sur la suppression de l'homosexualité de la liste des maladies mentales en Suède). La politique est aussi un peu évoqué : les homosexuels de l'ancienne génération et les bourges partisans de la discrétion versus les jeunes homosexuels et les libertaires partisans de l'exposition.


J'ai trouvé ça bien vu d'avoir intégré les témoins de jéhovah à cette histoire, et l'analogie fin des temps (prévu par l'organisation des TJ depuis 1914) et l'arrivée du sida est intéressante.


Néanmoins, plusieurs défauts.


Tout d'abord, les péripéties ne sont pas contées dans un ordre chronologique. On passe de 1988 à 1982, puis 1986, puis on revient à l'enfance des héros et on passe d'un perso à l'autre. C'est un peu déplaisant même si ça permet d'accentuer certains aspects dramatiques.


Aussi, les autres personnages ne sont pas aussi intéressants que les deux principaux, même si cela permet d'évoquer d'autres aspects de la vie gay, d'autres façons de découvrir et de vivre son homosexualité.


Enfin, et c'est peut-être là ma critique la plus sévère, c'est que l'on sent l'auteur un peu trop acquis aux idées modernes. Il y a si vous voulez un côté un peu trop netflixien dans toute cette histoire. L'auteur est bien content de vivre à notre évoque et prend bien soin de nous dépeindre des héros positifs et attachants. Heureusement, ce qui le sauve à mes yeux, c'est qu'il dépeint un petit peu le côté glauque qu'il peut y avoir dans ce milieu (les rencontres dans les pissotières, l'obsession pour la jeunesse et la beauté, la relation du fameux réalisateur avec le très jeune Bendt). Néanmoins, il m'est venu à l'esprit qu'un Balzac/Maupassant né dans la deuxième partie du 20e siècle aurait décrit tout ceci avec un ton beaucoup plus cynique, ce qui m'aurait, je dois le confesser, davantage plu.
Dans ce livre, on baise, mais au fond ce qui compte c'est de trouver l'être aimé, c'est ce qui se justifie une existence. Ce message, enfoncé dans nos crânes par un bon paquet de fictions contemporaines, m'exaspère un peu. Surtout que j'ai lu "les jeunes filles" de Montherlant il y a peu... Puis, il y a aussi l'idée que la famille dans laquelle on naît n'est pas vraiment importante, ce qui compte c'est celle qu'on se choisit. Je ne dis pas que ce message n'est pas le bon, mais qu'il est typiquement moderne.


Néanmoins, c'est un roman fort agréable à lire, que j'ai lu très rapidement malgré sa taille et qui vous plaira certainement si le sujet vous intéresse.

Hitar
7
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le 14 juin 2021

Critique lue 137 fois

Hitar

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