No et moi
6.8
No et moi

livre de Delphine de Vigan (2007)

Lou aime regarder les trains qui partent et qui arrivent, No traîne dans la gare avec ses « amis » SDF. Lou est la plus intelligente de sa classe, No ne va pas à l’école. Lou aime faire des expériences incongrues et précises, No trimballe partout derrière elle sa valise, qui n’a plus de roulettes.
Elles n’ont rien en commun, se rencontrent par hasard et trouvent finalement l’une chez l’autre ce dont elles ont besoin : Lou doit faire un exposé sur les SDF en SES, No a besoin d’argent. Lou paye alors des verres à Lou, lui offre une place au chaud le temps d’un coca ou d’une vodka, et peut faire son exposé.

Lou, la rêveuse n’ayant que peu d’amis, s’attache finalement à No, forte et pourtant fragile, inaccessible et mystérieuse. Si No profite de Lou au début, c’est rapidement d’une véritable histoire d’amitié dont il s’agit. Lou accueille finalement No chez elle, et tentera – vainement – de la sauver, de la réinsérer dans la société et de la changer.

On peut croire comme ça qu’il s’agit d’une fable moralisatrice qui veut nous dire que, comme le pense Lou, « si tout le monde accueillait un SDF chez soi, les gens seraient beaucoup moins malheureux et c’est pas un effort insurmontable à faire ! ». Rien à voir. Delphine de Vigan écrit ici à travers les yeux d’une enfant, préadolescente, naïve et rêveuse, utopiste, pleine d’avenir et de curiosité. On ne peut donc porter aucun jugement puisqu’on voit l’histoire à travers les yeux d’un enfant, et que l’enfant est innocent. Aucune morale à la clef, aucune leçon à laquelle il faut s’attendre.

Les histoires d’amitiés entre enfants sont d’autant plus touchantes qu’elles sont désintéressées et sincères, simples, gaies, rocambolesques et pleines de retournements de situations. Si Lou se sent au départ « concernée » par No et inquiète pour elle ; No cesse finalement d’être une inconnue anonyme pour devenir une amie, pour qui l’on ne s’inquiète pas à cause de ses conditions de vie mais parce qu’on la connaît et qu’on l’aime.
Evidemment, il y a la problématique de l’intégration sociale, de la misère et du monde de la rue : comment on y tombe, comment on y survit, comment on en sort, est-ce qu’on veut s’en sortir… d’autant plus que c’est d’une jeune fille de quelques dizaines d’années dont il s’agit.
Mais l’histoire va bien au-delà de ça et ne se contente pas de faire l’exposé du monde de la rue, comme doit le faire Lou. C’est de l’amitié dont traite principalement Delphine de Vigan : à qui peut-on faire confiance, jusqu’à quel point sommes-nous amis, l’amitié est-elle synonyme d’éternité ?

Dans nos esprits, l’amitié est un sentiment bien plus fort et solide que l’amour. Parfois réputées volages, souvent synonymes d’expérimentations, d’hésitation, de complexité et de hasards, l’amour est un sentiment instable et incertain, dont on ne décide pas et qui s’impose à nous. Au contraire, les relations amicales sont vues comme étant plus durables, fortes, moins soumises aux épreuves du temps et de la vie. Elles ne s’inscrivent pas dans l’espace spatio-temporel « normal », ne dépendent d’aucune variable de temps ou de lieu mais sont au contraire atemporelles.

Est-ce toujours le cas ? Les amis d’enfance sont-ils des amis pour la vie ?

Non ; pour Delphine de Vigan, l’amitié n’est pas plus sûre que l’amour. Aussi volage et imprévisible, elle est rythmée par les hasards et les étapes de la vie. On n’est jamais sur qu’on reverra l’autre, qu’on sera toujours amis demain, que notre ami est vraiment honnête avec nous et qu’on connaît tout de lui. Comme en amour, on se surprend à rêver en amitié, à faire des plans sur la comète, à avoir des projets qu’une rupture peut subitement avorter. Et c’est ce caractère imprévisible, intense et passionné qui donne son charme à cette histoire d’amitié. Vouée à l’échec à cause des trop grandes différences des jeunes filles, cette amitié s’accroche pourtant, se bat pour survivre, fait des erreurs et se fait pardonner. Cette amitié n’a rien de plat, de solide et de durable – rien d’ennuyant, en somme.

Parallèlement à cela, Lou, dont la mère vit dans le silence depuis la mort de son second enfant et dont le père s’efforce de maintenir la famille sur pieds, voit ses parents se redécouvrir, se séduire de nouveau et se retrouver alors que No s’installe chez eux. L’amour renaît finalement, et l’amitié s’évapore soudainement, contre toute attente.
Elle connaît également sa première histoire d’amour avec Lucas : premiers émois, premiers doutes, premières hésitations et premier baiser.

Delphine de Vigan nous propose alors un message plein d’espoir et de mélancolie : avec ou sans No, la vie continue. Les gens qui nous font grandir ne peuvent parfois plus faire partir de notre avenir – mais comment accepter qu’une personne ait pu être si importante pour nous, et devoir la laisser au passé ?
ulostcontrol
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 9 août 2013

Critique lue 1.1K fois

2 j'aime

ulostcontrol

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

2

D'autres avis sur No et moi

No et moi
Julie_D
5

Critique de No et moi par Julie_D

Un style et une narratrice trop neurasthéniques pour arriver à susciter l'émotion en ce qui me concerne. On m'a sans doute survendu ce livre que je prends presque plus comme un livre pour enfants, et...

le 29 oct. 2014

6 j'aime

3

No et moi
JulieToral
4

Vous m'ajouterez une petite larme s'il vous plait

Les ficelles du scénario sont grosses (tout y est, la check-list du drame est respectée à 120 %), les personnages auraient pu à mon avis être moins caricaturaux (cf. le prof tyrannique, notamment) et...

le 18 mai 2014

5 j'aime

No et moi
Opaaaale
9

Simplement des idées compliqués

Ce roman que je n'ai pourtant pas choisi, semble fait pour moi.Lou Bertignac à treize ans est une adolescente surdouée ayant sauté deux classes, ses compétences intellectuelles hors normes lui...

le 28 avr. 2023

3 j'aime

Du même critique

Regards sur le monde actuel
ulostcontrol
7

A la frontière entre "Histoire" et "Actualité"

Parfois barbant à lire, souvent trop dense et métaphysique pour être lu dans le métro, cet essai recèle pourtant de trésors incroyables. En effet, comme le suggère le titre de son essai, Paul Valéry...

le 9 août 2013

6 j'aime

Apocalypse Now
ulostcontrol
9

Ce que la guerre révèle d'un homme

3h, c’est long. Même avec Francis Ford Coppola, franchement, c’est encore long. Mais finalement, quand on y réfléchit bien, après avoir laissé le film murir dans notre tête, après y avoir bien pensé...

le 9 août 2013

5 j'aime

1

My God Is Blue
ulostcontrol
5

Un album planant.

My God is Blue a une qualité indéniable : la cohérence. Les titres s’enchaînent de manière fluide et harmonieuse, les transitions sont très bien faites, et même, on sent une intensité croissante tout...

le 10 août 2013

3 j'aime