A la frontière entre "Histoire" et "Actualité"

Parfois barbant à lire, souvent trop dense et métaphysique pour être lu dans le métro, cet essai recèle pourtant de trésors incroyables.

En effet, comme le suggère le titre de son essai, Paul Valéry se fait le témoin de son époque (l'entre deux guerres – certains textes sont écrits dans les années 20 mais beaucoup dans les années 30) et nous fait part ainsi des enjeux majeurs qui lui étaient contemporains : réflexions sur la Civilisation, l’ambition des nations occidentales, la colonisation et la découverte de l’orient, réflexions sur la politique, les dictatures, les guerres et les régimes totalitaires, retours sur les événements de l’époque, etc.

Mais le titre n’est pas que le témoin de son époque : il est également témoin de la notre. Parce que ce livre est resté véritablement ACTUEL, et ce parce que Paul Valéry ne se contente pas d’écrire un livre historique mais bien un essai à dimension philosophique et destiné à nous faire réfléchir. Ne dit-on pas qu’un des caractères d’une œuvre d’art est d’être intemporelle ?

Paul Valéry traite ainsi de la sauvegarde de l’Esprit et de la culture : quel rôle a la littérature, comment l’expliquer, il la compare avec les sciences et traite de son caractère abstrait et souvent sous-estimé.
Il mène également des réflexions géopolitiques sur la Méditerranée ou les pays asiatiques, nous propose des solutions à propos de l’éducation, de la culture.

En bref, Paul Valéry nous propose des réflexion enrichissantes et passionnantes sur des sujets qui ont marqué les années 30, mais son propos reste très actuel. On croirait parfois que ce livre a été écrit au XXIe siècle. Il regorge de citations qu’on souligne, qu’on réécrit quelque part pour s’en souvenir, qui nous déconcertent et nous interpellent, qui nous font dire « mais oui, c’est ça ! c’est exactement ça ! ».
Attention cependant, certains chapitres ne sont vraiment pas faits pour une lecture de détente, ou même de curiosité, mais doivent au contraire être approfondis et étudiés calmement, crayon gris à la main.
Parfois fluide, parfois impénétrable, Regards sur le monde actuel séduira en tout cas les curieux et les passionnés, boulimiques de culture et de connaissance, d’esprit et d’humanisme.

Quelques extraits :

« L’homme qui a un emploi, l’homme qui gagne sa vie et qui peut consacrer une heure par jour à la lecture, qu’il la fasse chez lui, ou dans le tramway, ou dans le métro, cette heure est dévorée par les affaires criminelles, les niaiseries incohérentes, les ragots et les faits moins divers, dont le pêle-mêle et l’abondance semblent faits pour ahurir et simplifier grossièrement les esprits.
Notre homme est perdu pour le livre… Ceci est fatal et nous n’y pouvons rien.
Tout ceci a pour conséquences une diminution réelle de la culture ; et, en second lieu, une diminution réelle de la véritable liberté de l’esprit, car cette liberté exige au contraire un détachement, un refus de toutes ces sensations incohérentes ou violentes que nous recevons de la vie moderne, à chaque instant. »
La Liberté de l’esprit.

« Demain, le sort de l’art et des recherches supérieures de l’esprit sera entièrement suspendu à l’opinion du plus grand nombre, qui est nécessairement dominée par la considération de l’utilité immédiate. Stendhal disait déjà : « La Société ne paie que les services qu’elle voit. » Mot qui ne fut jamais que trop juste, mais qui devient une sentence redoutable. Il ne faut rien négliger pour en écarter la menace, et faire comprendre à tous que l’homme n’est homme que dans la mesure où l’utile ne dirige pas toutes les actions et ne commande pas tout son destin. »
Présentation du « Musée de la littérature ».