Avec une plume délicate, Elizabeth Strout dépeint avec une grande précision et beaucoup d’émotions une vieille femme que l’on avait appris à connaître et à aimer dans Olive Kitteridge.


Pour ceux qui ont eu la chance de voir la série télévisée, Olive Kitteridge, c’est avant tout Frances McDormand. Une petite femme aigrie, mariée à un homme qui l’aime mais incapable de rendre cet amour. C’est aussi une femme qui doute de l’amour que lui porte son fils, et qui porte le poids du suicide de son père. Et pourtant, « le genre de personne à qui les gens ont envie de faire confiance. » Même si l’identification au personnage n’est pas parfaite (Elizabeth Strout insiste plusieurs fois sur la corpulence de son héroïne), Frances McDormand et Olive Kiterridge se confondent dans la tête du lecteur.


Bien des années plus tard pourrait-on dire, le lecteur retrouve une Olive esseulée, marquée par la mort de son mari survenue il y a quelques années. Olive, enfin (Olive, again pour le titre original) se concentre sur la nouvelle vie d’Olive, son remariage et ses journées de retraitée à occuper. A Crosby, ville du Maine, il se passe peu de choses. La vie semble tranquille, les couchers de soleil grandioses et les gens sans histoire. Sauf que ce sont ces gens sans histoire, ces « petites gens », qui cachent de lourds secrets et une existence difficile.


Une formidable humanité
Le roman est découpé en nouvelles : chaque chapitre se concentre sur un moment clef où tantôt Olive est le personnage principal, tantôt n’apparaît que fugitivement. Tous ces épisodes de vie sont cependant parcourus par le malheur et les soucis. La mort, la vieillesse, la folie, la pédophilie, le meurtre, entre autres, constituent en réalité le quotidien de Crosby. Et pourtant, et pourtant : la vie. Car c’est là tout le talent d’Elizabeth Strout, de faire resurgir, au milieu d’un océan de noirceur, toute l’humanité de ces êtres de papier.


Une femme annonce à ses parents qu’elle gagne sa vie en tant que maîtresse SM. Une jeune femme découvre qu’elle peut gagner un peu plus en faisant le ménage lorsqu’elle se caresse sous le regard du maître de maison. Une autre femme découvre à quel point son père a pu être violent avec sa mère. La dureté de ces vies contraste avec la beauté des paysages du Maine.


A la lecture de certains passages, les larmes affleurent tant l’écriture de Strout, sans aucune emphase, est juste. Ce sens de la psychologie, admirable, fait d’Olive, enfin un grand roman.


« Toujours à son bureau, Bernie regardait le fleuve. Une sorte de stupéfaction sereine l’envahissait. D’une certaine façon, Suzanne était restée pure. L’ingénuité avec laquelle elle s’était confiée à lui était un don à ne pas prendre à la légère. C’était une innocente, elle parlait ainsi aussi naturellement qu’elle respirait, et il avait l’impression que cette innocence l’avait lui-même purifié, dissipant les zones d’intranquillité qui s’étaient formées en lui au fil des ans, dans la pratique de son métier. D’ici un instant, il descendrait rejoindre sa femme et il lui dirait qu’il ne fallait pas se faire de souci pour Suzanne. Il n’évoquerait pas les détails de leur échange ; la manière dont Suzanne l’avait aidé resterait secrète. Plutôt inoffensive, pensa-t-il en se levant, quand on sait la quantité de secrets que les gens gardent en eux pendant des années. »

JulienCoquet
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le 28 sept. 2021

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Julien Coquet

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