Noël, le narrateur belfortain – et strasbourgeois d’adoption – d’Ostwald, fuit l’accident qui a transformé la centrale de Fessenheim en Tchernobyl bis. L’errance, qu’on imagine symbolique et qu’on devine interminable, le mène d’une station d’autoroute abandonnée à un camp de réfugiés en passant par le parlement européen devenu boîte de nuit… Avant la catastrophe, le monde était un endroit dans lequel on n’appelle son entreprise « AB Consulting […] que pour être en tête dans l’annuaire » (p. 18). Après elle, « Dans l’appartement de papa, tout est calibré pour un homme seul et absent » (p. 168).
En réalité il y a deux catastrophes – deux événements après lesquels rien ne sera plus jamais comme avant. Et le roman convainc, en mêlant deux thèmes dont le traitement se révèle assez pauvre si on les considère un par un : d’une part le passage à l’âge adulte d’un représentant de la classe moyenne fragilisée du début du XXIe siècle, d’autre part la réaction face à une fin des temps qui bouleverse l’espace.
Pour la partie initiatique, le ton est donné dès le prologue : « Il fallait pourtant vivre, et pour Félix et moi grandir, près d’un cadavre sans odeur, le squelette rouille et vert-de-gris de l’usine laissé là, pourrissant lentement au milieu de Belfort, comme un fantôme du passé ou un avant-goût de l’avenir » (p. 11). Comparer une usine abandonnée à un squelette, un cadavre ou un fantôme n’a rien d’inédit – et pourrait sembler surchargé. Mais cette phrase, qui n’est pas dépourvue de musicalité, cache par ailleurs l’une des ces petites surprises agréables qui apparaissent à la relecture : les trois images successives – cadavre, squelette, fantôme – sont aussi les trois étapes successives d’une mort : voilà comment dynamiser une description à partir d’images éculées.
D’une façon générale, et même si le roman ne deviendra probablement jamais un classique, le texte de Nicolas Flahaut se défend largement pour la qualité littéraire. Le langage n’y sert pas qu’à raconter une histoire. Il est l’image d’une pensée, désabusée sans être sinistre et qui permet au lecteur de voir comment le narrateur voit le monde. C’est peut-être une des limites du roman, d’ailleurs : à force d’être quelconque, Noël finit par être transparent – mais « c’est peut-être ça aussi, la démocratie. Le droit pour tout le monde de s’enfuir » (p. 146). On est le Raymond Radiguet qu’on peut : « Strasbourg pendant la catastrophe ressemble à Strasbourg pendant les vacances d’été » (p. 142).


Quant à la partie post-apocalyptique du récit, elle met en scène des événements qui sont aussi le point de départ de maint blockbuster hollywoodien, mais sans aucun héroïsme. Pas sûr que l’humanité soit à sauver dans ce roman : « La fuite des habitants et leur remplacement progressif par une population de renards et de chiens errants n’a rien changé à cette atmosphère glauque » (p. 131). Pas de gloire – voir la citation ci-dessus sur la démocratie. (Que le récit évite soigneusement toute mise en garde écologique appuyée est un autre de ses mérites.)
On ne pense pas du tout à World War Z et un peu à la Route, mais je rapprocherai plus volontiers Ostwald du sous-estimé Temps du loup de Michael Haneke. On en retrouve les dissensions muettes et la demi-survie au jour le jour, extrêmement crédibles, qui constituent le quotidien de nos réfugiés de l’atome. Il y a un événement, horrible et banal en temps de guerre, qui fait dire à Noël « si je n’ai rien dit, maintenant, rien raconté de ce que j’ai vu, je ne pourrai jamais plus le faire. Il n’y aura jamais de réconfort » (p. 103).
Et puis il y a cette description des illustrations des atouts d’un jeu de tarot imaginaire, dont le numéro 14 représente « La vieille du camion, dans un transat sur la plage, où elle attend de l’aube au crépuscule » (p. 93).

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le 21 janv. 2019

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